Née en 1962, Sylvie Lander vit et travaille à Strasbourg. Elle a exposé dans de nombreux lieux, principalement en Alsace. Elle a organisé cette exposition dans le cadre de son jubilé d’argent (25 ans de peinture).
Par sa démarche, l’artiste tend non seulement à s’accorder à la réalité des lieux, mais aussi à entrer en phase avec ce qui ne se voit pas, à savoir la force symbolique et la charge d’histoire de ce site unique.
Jean CALVIN : "Ce bel ordre que nous voyons entre le jour et la nuit, les étoiles que nous voyons au ciel et tout le reste, cela nous est comme une vive peinture de la majesté de Dieu", 148e sermon sur Job, CO 35, 368.
Voir le site : www.sylvie-lander.fr. Cliquer sur les photos pour un agrandissement.
Sylvie Lander a développé avec ce lieu exceptionnel à Strasbourg, un lien particulier : en effet, dès 1992, elle avait créé pour le cloître, une série d’œuvres axées autour de la déambulation et des quatre points cardinaux.
« Le Souffle des Anges » fut le point de départ de ses Pérégrinations.
Cette nouvelle exposition se déclinera en quatre temps et invitera à un cheminement au sein de l’édifice, avec comme fil conducteur différentes évocations du ciel.
Les œuvres s’inscriront directement dans l’architecture de quatre espaces distincts : la crypte, le baptistère de la Chapelle de la Trinité, le jubé et la chapelle des Zorn.
Des ciels sous terre, des ciels de feu, des ciels diurnes et nocturnes, des ciels sortis tout droit de l’imaginaire de l’artiste composeront l’ensemble de l’exposition. L’appui sur la poésie métaphysique du poète André Verdet offrant autant de réflexions, complètera le propos
– La crypte se trouve au bout d’une courte volée de marches. Elle abrite 5 niches
voûtées de grande dimension, vestige de la première église datant du début du
Moyen Age. Très frappante, au centre de cette crypte, une silhouette creusée dans le sol, de la taille d’un homme, le tout d’environ 190 cm de long pour 50 cm de large et d’une profondeur 35 cm.
– Le propos artistique : « Outre ciel », 5 peintures en forme de demi-cercles (250x125 cm) aux nombreuses
nuances de bleus, traversées de formes noires en mouvement ponctuées
d’innombrables points d’or s’abritent au fond des niches semi-circulaires. A elles
cinq, elles percent les murs souterrains, ouvrant autant de perspectives vers un infini.
Passage d’un état à un autre, la terre invite le ciel à creuser des voies intimes qui relient la vie aux arcanes du mystère de celle-ci.
Une cuve d’or, épousant la forme humaine, emplie d’eau claire, est incrustée dans le sol. Absence du corps, au coeur de la matière, naissance et mort, passage, transformation, circulation, présence du ciel à toucher dans l’obscurité minérale qui invite à entrer en résonance avec la danse immobile des étoiles.
– Les fonts baptismaux du XVè siècle se trouvent dans la chapelle de la Trinité au style
flamboyant. La cuve est obturée par une dalle qui bouche le réceptacle original. Un dais néo-gothique aux couleurs riches et lumineuses est suspendu au-dessus.
– Le propos artistique :
Vision d’une cosmologie céleste tirée d’une bible du XVè siècle. L’artiste renoue
avec l’esprit des peintres imagiers du Moyen Age, en rendant hommage à ceux qui
ont ornés les nombreux murs de cette église de fresques resplendissantes aux
couleurs vives et lumineuses.
La pièce, un cercle de 125 cm de diamètre, se présente comme une table
d’orientation posée directement sur la dalle. Elle offrira une lecture de la
représentation du ciel d’un autre temps avec ses différents mouvements célestes, ceux de la lune, du soleil, des planètes, d’un ciel peuplé des 12 figures du zodiaque. On entre dans la ronde des harmonies célestes, traversées de particules au velours
noir ponctué d’or qui entrouvrent des brèches cosmiques dans la continuité du
mouvement perpétuel de la matière universelle.
– Cet ensemble unique et remarquable du XIIIè siècle, à la polychromie chatoyante,
appelle immédiatement le regard. Une peinture de 1620 due à J.J. Engelhardt
représente notamment les quatre évangélistes.
L’intérieur du jubé est précieusement ouvragé, avec une voûte peinte et étoilée.
– Le propos artistique :
Les images rapportées par les grands télescopes depuis les confins du monde nous révèlent un ciel que l’on sait aujourd’hui en bouillonnement perpétuel. Grâce aux récentes et extraordinaires investigations en astrophysique, la perception mentale, sensible et spirituelle de notre place dans l’univers est bouleversée. A l’opposé de l’architecture cosmique, géocentrique et stable de la vision médiévale et aristotélicienne de l’univers évoquée au baptistère, dorénavant tout est lumière, particules, matière en mouvement.
Néanmoins, cet empyrée, ciel de lumière et objectif ultime du chrétien du Moyen Age, demeure de Dieu et des anges, et qui se trouve, toujours au baptistère, représenté par la bande orange périphérique, reste plus que jamais sujet d’interrogation. En effet, cet espace mythique est aujourd’hui observé et pénétré, et sa représentation peut être actualisée.
C’est à cette rencontre entre la tradition et la vision scientifique que l’artiste invite sur le bandeau positionné au jubé. Sa matière picturale se mêle à cinq séquences rapportées de l’espace, en transmutant le ciel en énergie ardente. Elle s’interroge sur le principe créateur, et la lumière nouvelle sur le concept de Dieu, induite par la cosmologie contemporaine. Une traversée aux couleurs incandescentes, rayon de lumière irradiant, parcourt les cinq arcs brisés. Traitées au recto et au verso, les peintures offrent une lecture
frontale à l’extérieur du jubé et une immersion en étroit dialogue avec l’écrin
précieusement travaillé de l’intérieur de l’ouvrage.
– La chapelle de 1320 est dédiée à la famille Zorn : deux dalles surélevées, un espace en contrebas desservi par une seule marche et séparé par des balustres.
– Le propos artistique : Un triptyque (220 cm x 180 cm) « Outre ciel » trouve sa place exacte dans l’enfeu.
Sur le mur, de part et d’autres sont déjà peints un soleil à gauche, une lune à droite. Le ciel palpite en son centre. Le jour et la nuit, réunis au même moment en un espace unique. La couleur est à l’azur, le matière noire s’invite, l’or scintille comme autant de particules qui circulent. Les panneaux extérieurs du triptyque invitent à entendre le silence des battements de l’univers : le calme s’impose. L’espace s’ouvre, une fenêtre perce les murs, le ciel trouve une dimension palpable qui nous renvoie à notre ciel intérieur.
propos recueillis par Albert Huber (aussi auteur de la plupart des photos) le 4 juin 2010 et publié dans "Le Messager" n° 25 du 20 juin 2010
Jérôme Cottin enseigne la théologie pratique à la faculté de théologie protestante de Strasbourg. Il est un spécialiste du dialogue entre art et spiritualité, il a rencontré Sylvie Lander à l’église Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, à l’occasion de son exposition "A ciel ouvert" du 4 juin au 31 octobre 2010.
Sylvie Lander : Travailler et peindre, créer dans la solitude au creux de mon atelier, certes. Mais mon itinéraire régulier passe par le voyage dans l’infini, l’observation émerveillée du monde et en particulier du ciel. Nos atomes sont bel et bien célestes. Au fur et à mesure de mes explorations, j’ai pris conscience que ces formes interactives me sont familières, me structurent intimement, m’ouvrent des espaces secrets…
Jérôme Cottin : Je sens comme de la plénitude dans votre intense travail. Les formes et les couleurs me parlent. Dans la crypte, entre autres, votre art me bouleverse. Vous avez su capter ce lieu et faire basculer la mort vers la vie. Votre langage exprime le cœur de la théologie chrétienne : un message résurrectionnel.
S.L. : C’est le sens de mon propos. Dans la crypte, on est dans la terre, le ventre, le liquide…on hiberne. Mais j’ai la conviction que la vie ne s’arrête pas après la mort. Nous ne savons pas d’où nous venons, où nous allons, mais les niches bleues nous font ressentir que l’espoir est présent. Tout vibre, tout est mouvement…
J.C. : Une autre chose me frappe. Votre installation n’est pas seulement de l’art contemporain non figuratif exposé dans un lieu ancien, elle dit à la fois le temps et l’actualité dans un langage moderne. Vous avez su investir Saint-Pierre-le-Jeune en prenant en compte l’historicité du lieu.
S.L. :C’est une église pleine d’ intimité et qui engage à un rapport fort au sacré. Un sacré en rien synonyme pour moi de religieux.
J.C. : Savez-vous au juste que vous faites du Calvin ? La bleu a été la couleur préférée de Calvin. Et dans son commentaire des Psaumes, il a affirmé que l’une des métaphores de la grandeur de Dieu est le ciel. Il a toujours été en admiration face à la voûte céleste qui n’a cessé de guider sa pensée sur la beauté d’un Dieu infigurable.
S.L. : Je découvre que Calvin s’est inspiré du ciel pour découvrir la splendeur du monde !
J.C. : Je me réjouis de ce dialogue entre la théologie et l’art. L’artiste est le prophète des temps modernes : l’un comme l’autre dit une parole libre et qui, précisément parce qu’elle est libre, peut choquer parfois. L’artiste nous rend service dans notre expression religieuse. Je constate qu’il se sent bien en milieu protestant, devenu plus ouvert, moins dogmatique et cérébral...
S.L. : Une chose me frappe en fréquentant des églises protestantes : ce sont avant tout des lieux de rassemblement d’une communauté qui sait accueillir, partager…