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Bibliothèque (1990-2022)

Dieu et ses images.

Une histoire de l’Eternel dans l’art.

Auteur : François BOESPFLUG

Il est fort rare qu’un ouvrage de théologie ait droit à une présentation en première page du journal Le Monde. Ce fut le cas avec celui-ci, qui a les dimensions d’une véritable encyclopédie iconographique sur l’art chrétien, des origines à aujourd’hui. L’auteur de cette immense érudition est bien connu de ceux qui s’intéressent à l’art chrétien : dominicain atypique, François Boespflug enseigne l’histoire des religions à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg. Nous avons ici le fruit de quarante années de recherche iconographique, mais aussi de sa longue pratique éditoriale (il fut un temps co-directeur des éditions du Cerf).

Le parcours proposé suit pédagogiquement un schéma chronologique en douze étapes. Chacune de ces étapes, abondamment illustrée, est introduite par un plan et un résumé, et se termine par une bibliographie spécifique.
Il vaut la peine de nommer ces étapes, car elles donnent une première idée de l’origine et l’évolution de l’iconographie chrétienne à travers les siècles. Tout en montant la richesse des développements ultérieurs, l’auteur a le souci d’ancrer sa réflexion dans les textes et la culture juive du christianisme :
 1. Le poids du Décalogue
 2. L’héritage juif du premier christianisme (1er-3e s.)
 3. Dieu dans l’art paléochrétien (4e-6e s.)
 4. La victoire des icônes et la raison d’Eglise (7e-8e s.)
 5. La foi visionnaire. Dieu dans l’art chrétien d’Orient, du 9e au 12e s.)
 6. Majesté et liberté. Dieu dans l’art d’Occident, du 9e au 12e s.)
 7. Trinités européennes (13e et 14e siècles).
 8. Dieu pathétique et familier. Les audaces du 15e s.
 9. La figure de Dieu en question (1510-1680).
 10. Un sujet en déclin. Du siècle des Lumières aux années 1860.
 11. Eclipse du Père. Triomphe du crucifié. Le "grand XXe siècle" (1860-2000).
 12. Inculturation et mondialisation. Le Dieu chrétien hors d’Europe (16e-21e s.)

On voit que l’auteur s’est essayé à une vaste synthèse à travers les siècles, les continents, les christianismes (l’apport inestimable du christianisme oriental à la fabrication des images n’est pas oublié). De nombreux débats liés à la production et à la dévotion d’images au cours des siècles, font l’objet d’utiles et claires synthèses. Quelques exemples pris parmi tant d’autres : "Dieu dans l’art musulman" ; "Nicée II" (que l’a. connaît particulièrement bien), "le vocabulaire des images au Moyen Age (Imago, historia, Majestas, Deus, Dominus) ; Le Concile de Trente et ses effets sur l’art ; La crucifixion "déportée" au 20e siècle ; Vatican II et l’art...

La vocation de cette publication à être un manuel d’étude (et pas simplement un livre d’art avec de belles reproductions) se voit également aux nombreuses annexes : introductions diverses (sur la "méthode" utilisée, sur une "histoire iconique de Dieu") ; cinq précieux index (scripturaire ; auteurs ; artistes ; lieux ; iconographique) ainsi qu’un glossaire icono-théologique (on pourra ainsi méditer sur les différences entre : iconisme, iconoclasme, iconoclastie, iconocosme, iconodulie, iconolâtrie, iconologie, iconomachie, iconomanie, iconophagie, iconophilie, iconophobie).
Parmi les thèmes les plus approfondis, on a ceux de Dieu le Père, de la Trinité, du Christ, qui ont donné lieu aux thèmes iconographique du Trône de grâce, de la Trinité tirandrique, de la Compassion du Père, de la Majestas Domini, de la Majestas Patris, etc.

L’auteur iconographe étant aussi théologien, les représentations sont resitués dans quatre contextes indispensables à leur juste interprétation : historique (contexte d’élaboration de l’oeuvre), dogmatique (textes et dogmes de références de l’Eglise à l’époque de l’œuvre), iconographique (origine du thème visuel ; mémoire des images antérieures), enfin scripturaire (fondement du thème dans l’Ecriture). Les conflits autour des images ne sont pas tus, mais au contraire mis en avant et expliqués (première crise iconoclaste 730-843 ; dérive mariolâtrique de l’art...).

Le protestantisme, vu son iconophobie, aurait pu être écarté ou ignoré. Il n’en est rien : le 9e chapitre (La figure de Dieu en question), consacre une sous partie à "La Réforme et les images de Dieu dans l’art".

On regrette simplement que le 19e et le 20e siècles soient plus sommairement traités : si le thème se déplace, disparaît parfois, se transforme, il n’est pas pour autant absent (l’auteur ne traite ainsi pas des images non figuratives de Dieu, pourtant abondantes au 20e s.). Mais pour traiter amplement de cette période il aurait alors fallu, il est vrai, un second tome, ainsi qu’une approche pluri religieuse. L’un des mérites de cet ouvrage indispensable, est que l’auteur sait cadrer et approfondir un sujet riche, pluriel et immense.

Jérôme COTTIN