Cette étude déjà ancienne du suisse Jean-Philippe Ramseyer mérite attention. Pour la première fois en effet, un travail approfondi en théologie protestante nous est proposé concernant les relations de la parole et de l’image, selon une double perspective : - Biblique, dans la mesure à la Parole reste ancrée dans l’Ecriture, seule source de révélation. La Parole reste l’instance première et fondatrice de notre relation au Dieu biblique. - Esthétique, car cette Parole ne peut que s’ouvrir à l’image, ce qui réhabilite la création artistique sous toutes ses formes. Ce travail est bâti sur un savant équilibre, qui à la fois différencie ces deux moyens de communication que sont la parole et l’image, mais aussi les articule l’un à l’autre : l’image sauve la parole en faisant droit à l’imagination et aux sens, tandis que la parole sauve l’image du risque de l’imprécision voire de l’idolâtrie.
Je ne m’intéresserai toutefois qu’à la première partie de cet ouvrage intitulée « Théologie de l’image dans son rapport avec la Parole » (pp. 11-94) dans la mesure où la seconde « Pratique de l’image dans son obéissance à la Parole » (pp. 95-200) me semble dater, à la fois par les exemples donnés et par le contexte envisagé, qui suppose la production d’images chrétiennes dans une société chrétienne. La question de la production d’un art profane, laïc, non religieux, entrant en tension ou en dialogue avec le christianisme n’est pas, ou que très accessoirement envisagée. L’image reste, d’une manière ou d’une autre « soumise » à la Parole, situation qui est inacceptable pour la création artistique contemporaine, depuis à peu près un siècle.
En revanche, l’ouvrage approfondit les relations entre la parole et l’image, qu’il envisage comme étant plus qu’un simple processus de communication. On touche à la réalité même de la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Le Christ incarné a rompu l’invisibilité totale et définitive de Dieu (Jn 1, 14 ; 14, 9). Il est, et lui seul, l’Image de Dieu (Col 1, 15 ; 2 Co 4, 4). L’image devient un lieu théologique possible, pensable, et même nécessaire, si on la pense à partir de l’Incarnation : « Désormais la parole et l’image sont essentiellement liées. Méconnaître ce fait, c’est toujours d’une façon ou d’une autre atténuer la portée de l’Incarnation » (p.50). Par le Christ, l’invisible est communiqué par le visible. A partir de cette Image originelle, fondatrice, d’autres types d’images naissent : le sacrement eucharistique qui est l’image de l’Image, tandis que l’humain est, lui, « à l’image » de l’Image (Rm 8, 29 ; 2 Co 3, 18). Ce qui fait dire à l’auteur : « l’image n’a pas détrônée la parole, elle l’a renforcée » (p. 58).
Car si l’image fait désormais partie de l’essence du christianisme, la parole continue à se manifester directement, après l’Incarnation du Verbe. La parole dégage la signification de cette Image de Dieu . Certes comme le dit l’apôtre, « A nos yeux ont été dépeints les traits de Jésus-Christ en croix » (Ga 3, 1), mais il s’agit d’une peinture narrative, verbale. La foi suppose en outre un dépassement de la vue (Jn 20, 19 ; Rm 10, 17 ; 2 Co 5, 7 ; He 11, 3). C’est pourquoi l’Image par excellence qu’est Jésus-Christ incarné ne produit pas directement des images, mais des paroles qui conduisent à la Parole de la foi : « A travers l’Image visible, nous voyons l’invisible, mais par un regard qui ne s’arrête pas à l’apparence des choses (...) Ce regard n’est pas celui de la chair, mais celui de la foi » (p. 69). Même si la Parole nous est venue sous un aspect visible, elle doit être transcrite par des mots, lesquels peuvent aussi s’ouvrir au visuel.
Cette ouverture à la vue, cette sensibilité nouvelle à l’image, ont du reste été préparées, annoncées, par l’Ancien Testament. Dieu, dans l’Ancien Testament, s’est certes méfié des images, mais il a utilisé des visions et des signes d’une richesse et variété extraordinaires, pour s’adresser aux humains. Dans l’Ancienne alliance, « le signe est donné comme un des éléments constitutifs de la Parole » (p. 28). Ces signes, comme les visions, sont toutefois l’apanage de Dieu ; l’humain ne peut que les recevoir comme Parole et les interpréter par sa parole.
L’image est certes seconde dans l’économie de la foi ; elle n’est toutefois pas secondaire, elle est nécessaire au rayonnement et à la transmission de la Parole : « L’image accrédite la Parole, lui donne une forme d’incarnation, la préserve de l’intellectualisme, elle la protège contre la tentation de l’abstraction, elle la défend contre une fausse spiritualité » (p. 44). Avec le travail de Ramseyer, l’image commence à être fondée bibliquement et théologiquement, reste à approfondir cette première étude et à penser l’image dans notre modernité culturelle et médiatique.