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Réflexion

L’apocalypse dans l’art

V - Fin XX ème siècle : recherches esthétiques et renouveau liturgique

Kandinsky, avec sa recherche d’une spiritualité intérieure, et Meidner, avec ses paysages apocalyptiques, créeront deux traditions artistiques qui se poursuivront pendant tout le XX ème siècle : l’abstraction d’un côté, le réalisme brut (et souvent brutal) de l’autre. Mais alors que ces deux précurseurs fondaient en partie leur expression visuelle sur des thèmes bibliques, il n’en sera désormais plus question. Les recherches esthétiques s’émancipent des sources religieuses, au point qu’il n’est même plus question de donner un titre biblique à un sujet profane. Exit, l’Apocalypse de Jean, et son imagerie du jugement ou de l’émerveillement. La création contemporaine est maintenant complètement autonome, émancipée des sources d’inspiration religieuses tout comme elle l’est de la figure elle-même.

C’est dans un autre contexte que les références artistiques à l’Apocalypse renaissent, à savoir dans les (rares) milieux artistiques qui n’ont pas fermé la porte à la tradition biblique et dans les (tout aussi rares) milieux ecclésiaux qui n’ont pas regardé avec dédain, indifférence ou jugement les surprenantes avancées de la création artistique. On remarque en tous cas que c’est dans le contexte d’une architecture religieuse contemporaine, moderniste donc, que les scènes de l’Apocalypse réapparaissent : à architecture nouvelle et tournée vers le futur correspond une thématique biblique elle aussi tournée vers l’avenir. L’Apocalypse de Jean, avec ses surprenantes visions d’un monde renouvelé s’imposait alors comme un thème de choix.

Il n’est pas impossible non plus que la théologie biblique contemporaine, en mettant l’accent sur l’ad-venue du Royaume de Dieu, sur l’espérance chrétienne, sur l’eschatologie, dans la ligne de grands théologiens contemporains comme Ernst Käsemann ou Jürgen Moltmann, ait contribué à ce renouveau apocalyptique dans l’art ecclésial contemporain. Avec en prime un recentrage sur le Christ et sur le message de l’Evangile : l’Apocalypse dont il sera question n’est pas d’abord les visions effrayantes de Meidner, ni les jugements célestes médiévaux, mais l’annonce d’un Dieu qui vient à nous dans son mystère, et dont la grandeur est cachée sous les signes paradoxaux de sa faiblesse. Le thème et la figure de l’agneau (l’agneau tout à la fois immolé et vainqueur d’Apocalypse 5 ) reviendra comme un leitmotiv, sous différentes formes et différents supports.

Je mentionnerai deux exemples grandioses de cette réconciliation (entre l’art et les Eglises, entre l’Apocalypse et l’espérance, entre les anciens symboles et l’esthétique moderne) qui s’est amorcée, l’une en Allemagne, l’autre en France. Dans l’église berlinoise Maria-Regina-Martyrum, un artiste, Georg Meistermann, a peint une immense peinture murale derrière l’autel. L’austère église moderne, en béton brut, est construite à côté d’un ancien camp d’extermination nazi. Aussi les taches lumineuses entrecoupées de symboles de l’Apocalypse, et plus particulièrement de la vision de l’agneau, acquièrent-elles une signification particulière : elles expriment l’espérance et l’explosion de la vie dans un lieu où la présence de la mort (et d’une mort violente, celle du martyre) n’est pas loin. L’autre chef d’oeuvre moderne sur l’Apocalypse est évidemment la tapisserie de Jean Lurçat, qui se trouve dans le choeur de l’église Notre-Dame de Toute Grâce sur le Plateau d’Assy (Haute Savoie), que l’assemblée voit quand elle prie, écoute et chante. Cette tapisserie d’Aubusson sur le thème d’Apocalypse 12 est entourée d’oeuvres célèbres d’artistes souvent incroyants : une manière de signifier visuellement ce nécessaire dialogue entre l’Eglise et le monde dont les arts devraient être porteurs.

Il faudrait pouvoir ajouter d’autres exemples, moins connus mais plus récents. Ils témoignent tous de cette double dimension constitutive d’une certaine création contemporaine autour de l’Apocalypse, qui conjugue innovations esthétiques et renouveau liturgique ou spirituel.

Créations contemporaines en Europe et ailleurs

Aujourd’hui l’Europe n’a plus de monopole de la création artistique chrétienne. En Asie, Afrique, Amérique du Sud, Australie, les créations artistiques contemporaines autour de la Bible - et donc de l’Apocalypse - explosent, tandis qu’en Europe on les compte sur les doigts de la main. Le sujet ci-dessus, la femme et le dragon (apocalypse 12, 1-17), est l’un des six thèmes d’une composition en batik que l’artiste, Nyoman Darsane, a réalisé en 1995. Cet artiste chrétien, hindou à l’origine, vit sur l’île de Bali en Indonésie. Il peint essentiellement des motifs bibliques qu’il situe dans un contexte balinais. Tous ses tableaux sont imprégnés par le mouvement de la danse et témoignent de cette double culture qui est la sienne.

En Europe, les créations artistiques les plus récentes sur l’Apocalypse vont en général dans le sens de l’abstraction. En témoignent les oeuvres de Jacques Gassmann (32 grands tableaux peu colorés réalisés entre 1989 et 1991) qui ont été exposées récemment dans des églises protestantes de Strasbourg et Genève. On peut souligner que si l’artiste a pu travailler aussi longtemps et de manière si libre sur cette thématique, c’est grâce à l’aide d’une fondation protestante allemande. Reviendrait-on vers une nouvelle forme de mécénat d’Eglise ?

Il a dit...

«  Il n’y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la cité et ses serviteurs lui rendront un culte. Ils verront son visage et son nom sera sur leurs fronts. Il n’y aura plus de nuit et nul n’aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière  »
Jean (Apocalypse 22, 3-5).

Jérôme COTTIN

Pour poursuivre...
 Frederic van der Meer, L’Apocalypse dans l’art, Fonds Mercator, Anvers, 1978