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Portraits d'artistes

Nicole DUPONT, sculpteur et dessinatrice

Nicole DUPONT habite et travaille à Paris

 Nicole DUPONT a été lauréate du concours organisé par Protestantisme & Images à Genève, en automne 2007

Pour la présentation du concours

Pour une présentation des lauréats

 Nicole DUPONT a publié, en automne, l’ouvrage A la poursuite du vent (34 dessins inspirés de l’Ecclésiaste)

Préface de Jérôme Cottin pour l’ouvrage de Nicole Dupont, A la poursuite du vent : "Le dessin, une écriture de l’Ecriture"

La Réforme protestante a retrouvé le goût du commentaire biblique. Chaque livre biblique, que ce soit dans le cadre de la prédication ou de l’enseignement, a fait l’objet de minutieux commentaires, dont le but était à la fois d’aider le lecteur à une juste compréhension du texte, et de favoriser une appropriation personnelle du sens spirituel des mots écrits dans la Bible. Il y a évidemment derrière ce travail l’idée le texte biblique est la Parole de Dieu ; mais ce passage du texte écrit à la Parole vivante n’est ni facile ni automatique. Il faut l’aide de l’Esprit Saint bien sûr, mais il faut aussi un travail pédagogique et exégétique visant à comprendre le texte puis à l’expliquer. L’ouvrage qui nous est présenté se situe tout à fait dans cette optique : aider le lecteur, d’abord à découvrir, puis à s’approprier le texte de l’Ecclésiaste.

Le texte biblique en images

Il y a pourtant ici une rupture par rapport à la tradition des commentaires bibliques : ce commentaire n’est pas fait de textes, mais d’images, de dessins. Il s’agit de quelque chose d’assez nouveau, en tous cas dans la tradition réformée (le luthéranisme en revanche, et cela dès la première Bible traduite par Luther, a proposé de mettre des dessins en regard de certains textes bibliques). Calvin en effet, pensait qu’une image biblique non seulement n’apportait rien de nouveau, mais de surcroît pouvait nuire à la compréhension du texte, en risquant de substituer un autre message à celui du texte qui, seul, est Parole de Dieu.
On est aujourd’hui devenu moins sévère, et même beaucoup plus ouvert que ne l’était le réformateur : l’image peut tout à fait exister face au texte, comme un utile commentaire.
Le raisonnement est le suivant : le texte biblique ne devient pas automatiquement Parole de Dieu. Il le devient en tant qu’il est interprété, actualisé dans la situation des lecteurs du texte. Il faut donc des interprètes, qui œuvrent sous l’inspiration de l’Esprit. Ce travail d’interprétation change le texte puisqu’il devient parole dite, expliquée, annoncée. Et cette parole qui touche l’auditeur ou le lecteur actuel est un phénomène linguistique qui ne se limite pas aux seules paroles prononcées : il inclut tout signe servant à la communication : sons, gestes, musique, images narratives, images plastiques. Limiter la communication du texte biblique au seul langage verbal reviendrait à limiter la capacité du texte à devenir parole vivante, donc à être Parole de Dieu qui nous est adressée.

Nous qui vivons dans une civilisation de l’image, nous savons qu’aujourd’hui la communication ne se limite pas à la seule parole orale, elle inclut de la musique et des images, des gestes, des émotions.
La Réforme calviniste a bien accepté que des textes bibliques soient mis en musique (le Psautier huguenot) mais a refusé les images. Il y a des raisons conjoncturelles, historiques, mais fondamentalement, il n’y a aucune interdiction à ce qu’un travail d’interprétation du texte biblique passe par l’image, sous quelque forme qu’elle soit .

L’art en noir et blanc

L’image adoptée par Nicole Dupont pour son interprétation de l’Ecclésiaste est une image sans couleur, uniquement faite de noir et de blanc (et de leur mélange, le gris). Notre artiste sait-elle qu’avec le noir et le blanc, elle se situe dans une double tradition, à la fois artistique et spirituelle ?
 La tradition spirituelle d’abord. Calvin, à plusieurs occasions, a parlé de ces deux couleurs qui à la fois s’opposent et se complètent. Il voyait en elles la métaphore de la relation entre l’humain et Dieu : tout les oppose, et pourtant ils sont liés entre eux en une relation de complémentarité, de la même manière que le noir et le blanc s’opposent mais en fait, se complètent : "Tout ainsi que l’œil, lequel ne voit rien que choses de couleur noire, juge de ce qui est d’une blancheur obscure, ou bien encore à demi-gris, être le plus blanc du monde (...) ainsi advient-il en réputant nos facultés spirituelles" . Le Réformateur, qui décidément aimait ces deux couleurs, reprendra la métaphore du noir et du blanc pour parler de la Bible : "L’Ecriture a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur" .
 La tradition artistique ensuite. Plusieurs artistes, parmi les plus célèbres, ont interprété des textes bibliques par le moyen du noir et du blanc (ou du noir, du blanc et du gris). Avec des techniques différentes, mais en jouant à la fois sur les contrastes entre le noir et le blanc, sur la sobriété des tons, et sur la similitude avec le texte imprimé (lui aussi en noir sur fond blanc). Il y a d’abord Albert Dürer, et ses 15 planches gravées sur bois de l’Apocalypse, réalisées à la toute fin du 15e siècle. Une œuvre qui, déjà, annonce la Réforme . Puis nous avons les eaux-fortes de Rembrandt, et ses subtils dégradés de gris, en particulier la célèbre Pièce aux cents florins . Au 19e siècle, citons les gravures de William Blake sur le livre de Job ; et les dessins d’Eugène Burnand sur les paraboles, avant qu’ils ne soient mis en couleur.
Au 20e siècle, deux œuvres s’imposent : le Miserere de Georges Rouault : si ce n’est pas exactement un commentaire biblique, c’est un commentaire en noir et blanc sur la situation du chrétien dans le monde, un monde fait de violences, mais dans lequel pointe l’espérance de la foi, par la vision omniprésente du Christ crucifié, parole d’amour de Dieu donnée au monde. Une thématique qui n’est pas sans ressemblance avec celle du livre biblique qui nous occupe. Enfin, comment ne pas nommer, en contexte protestant, les dessins bibliques en noir et blanc de Henri Lindegaard, qui eurent le succès que l’on sait, à la fois dans la catéchèse et la prédication . Pour la première fois, un pasteur réformé commentait le texte biblique en images, sans que celles-ci n’écrasent le texte par leur puissance imaginaire, ni ne le répètent de manière servile. Le travail de Nicole Dupont se situe dans cette tradition, en ajoutant une technique nouvelle, le dessin clair obscur.

Le message de l’Ecclésiaste

Notre artiste a choisi d’interpréter ou d’accompagner le texte biblique de l’Ecclésiaste (ou Qohéleth). C’est un choix original et judicieux.
 Original, car normalement ce sont les textes des Evangiles - ou alors certains cycles narratifs de l’Ancien Testament - qui sont mis en images. L’Ecclésiaste, comme de nombreux autres textes de la Bible considérés à tort comme mineurs, est moins lu, moins commenté, moins illustré.
 Judicieux, car l’Ecclésiaste (optons pour le titre grec du livre) se révèle être d’une criante actualité. Ainsi le texte biblique dont l’interprétation graphique est censée montrer l’actualité est-il déjà, en lui-même, actuel.
Ce livre biblique que l’on situe dans les écrits dit de "sagesse", a été probablement écrit bien après le retour de l’exil, au 3e ou 2e siècle avant Jésus-Christ. Il nous parle de la condition humaine, des plaisirs éphémères de la vie, de la jeunesse et de la vieillesse, de la mort et de la vie après la mort. Mais au-delà des grandes questions qui occupent l’humanité, il traite aussi de la vie dans ses aspects les plus quotidiens et les plus profanes : la sagesse et ses relations avec la justice, la condition féminine, les relations sociales et leurs anomalies dans un monde perverti et cruel.

L’analogie de ce texte avec la condition de l’être humain du 21e siècle est évidente. Beaucoup de nos semblables vivent de manière désabusée dans un monde qu’ils jugent injuste et violent (ce qui n’est pas faux, hélas), et se contentent de profiter des éphémères moments de bonheur qui leur sont donnés. La foi reste pour eux une énigme ; Dieu un mystère ou une question ou parfois même une absence. C’est le message de l’Ecclésiaste ; mais ce premier message, le plus apparent, est aussi le moins vrai.
Car derrière cette vérité banale, se cache un second message, que l’on ne perçoit pas immédiatement, mais qui se révèle après un temps d’étude : derrière le contraste entre la durée infinie du temps et les instants éphémères de la vie, se cache la présence, discrète et aimante, de Dieu, créateur de l’humain, maître de l’espace et du temps. L’humain est soumis au temps, mais Dieu est maître du temps. La vie, donc, reste un don de Dieu.
L’Ecclésiaste dit bien que Dieu a fait le monde beau, qu’il en est et qu’il en reste le créateur. Ne nous laissons donc pas tromper par le nihilisme ou le pessimisme apparent de ce très beau texte biblique, qui ne se réduit pas à : "Vanité des vanités, tout est vanité" (1, 2), ni à : "Il y a un temps pour tout...". Relisons par exemple, le poème sur la vieillesse, qui traduit une exceptionnelle veine poétique. L’un des mérites de cet ouvrage est précisément de nous montrer que ce texte est beaucoup plus vaste que ce que la mémoire collective ou les dictons populaires en ont retenus.

L’interprétation de Nicole Dupont

Nicole Dupont consacre une partie de son travail artistique (qui comprend essentiellement de la sculpture) à l’interprétation de récits bibliques.
Comment notre artiste a-t-elle interprété l’Ecclésiaste ?
D’une double manière, à la fois formelle et spirituelle.
Formellement, elle a usé de la technique du clair-obscur. Cette technique graphique consiste à dessiner sur un papier blanc légèrement tramé. On utilise des mines graphites, avec lesquelles on noircit entièrement la feuille de papier. C’est la descente dans la matière. Puis, avec une gomme, on fait naître des lumières dans l’obscurité. Ensuite on revient alternativement avec l’ombre et la lumière pour préciser l’image.
On aura compris qu’au niveau même de la technique, et indépendamment du sujet traité, le clair-obscur a déjà une portée spirituelle : faire naître la lumière (la blancheur de la feuille) de l’obscurité (la surface, entièrement recouverte par le noir du crayon), est une métaphore de la foi. Du fait de cette technique utilisée, le dessin peut paraître sombre. Mais comment ne pas y voir une métaphore de la condition biblique de l’humain, à la fois marqué par le péché (on dirait aujourd’hui plutôt la "finitude"), mais toutefois appelé par la lumière de la Grâce, et même happé par elle.

On en arrive aux thèmes traités. Si on compare les dessins, les titres retenus (tirés de versets de l’Ecclésiaste) et le livre biblique dans son entier, il apparaît que le choix des versets illustrés ne correspond à aucune logique. C’est un choix personnel, purement subjectif, qui correspond du reste à la manière qu’a notre auteur de lire la Bible : elle lit le texte, le laisse mûrir en elle plusieurs jours, attend qu’il retentisse dans sa vie intérieure. Pourquoi par exemple, a-t-elle retenu "la corde à trois fils ne se rompt pas facilement", ou encore "Mieux vaut aller dans une maison de deuil", plutôt que la suite du verset : "que d’aller dans une maison de festin" ? Nul ne le sait, pas même l’auteur sans doute. C’est le mystère de notre face à face avec l’Ecriture : de manière tout à fait libre et subjective, une parole, un verset, une partie d’un verset nous atteignent dans notre conscience, et probablement plus encore dans notre inconscient.

Je ne me risquerai donc pas à chercher des thématiques privilégiées, dans le choix que fait Nicole Dupont des paroles de l’Ecclésiaste. Je risquerai de dire toute autre chose que ce qu’elle a voulu dire, et de superposer ma lecture de l’Ecclésiaste à la sienne. Je laisse au lecteur le soin, à partir de ce va-et-vient entre le texte et le dessin de faire sa propre lecture de l’Ecclésiaste. A lui de se choisir ses propres versets, de les intérioriser, de les visualiser, comme elle l’a fait, pour elle-même d’abord, pour nous ensuite. A trois occasions dans un seul verset, l’Ecclésiaste nous invite à ne pas trop parler : "Ne te presse pas d’ouvrir la bouche, et que ton cœur ne se hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu ; car Dieu est au ciel, et toi sur la terre : que tes paroles soient donc peu nombreuses".

Peut-être est-ce là une incitation à commenter ce texte non par des paroles, mais par des images.