Pier Paolo Pasolini, l’Evangile selon Saint Matthieu (1964).
[1] Il faut saluer ici l’initiative de l’association Pro-fil, dont le but est de nourrir le dialogue entre le christianisme et le cinéma.
Les références du cinéma au christianisme et à la Bible sont bien plus nombreuses et explicites que dans les autres formes d’art. Pourquoi ? Sans doute par la nécessité qu’a le film de développer une narration en consonance avec l’histoire humaine. Mais une narration qui s’inscrit dans une double temporalité (le temps du film, et le temps du récit du film). Comme dans le culte, la temporalité ouvre à la spiritualité.
Un film raconte une histoire. Mais pour cela, il ne peut se contenter de raconter la vie, marquée trop souvent par le sceau de la banalité. Il faut alors l’ouvrir à une dimension autre, invisible, secrète. C’est ainsi que le cinéma explore les symboles, les mythes, les épopées humaines. Dans un autre ordre de représentations, le cinéma fait comme la Bible : il raconte et symbolise, il décrit et imagine.
Voilà pourquoi, si l’on veut montrer la spiritualité biblique, il ne faut pas se contenter des seuls films sur Jésus. Car raconter la vie de Jésus ou la filmer, participe d’une même intention : retrouver le Jésus historique, ce qui n’est ni possible, ni souhaitable, et qui ne correspond pas à ce que les Evangiles ont voulu faire. On pourrait même aller plus loin et soutenir le paradoxe suivant : les films racontant la vie de Jésus nous montrent ce que n’est pas la Bible (un récit purement historique), tandis que ceux qui prennent appui sur l’actualité nous font souvent comprendre ce qu’elle est : l’histoire d’une rencontre, d’une promesse et d’un pardon.
Les meilleurs films sur Jésus sont ceux qui osent mettre en image ce paradoxe : Jésus de Montréal (1989), de Denis Arcand, n’hésite pas à faire de la vie de Jésus un spectacle, tandis que l’amitié d’une équipe d’acteurs est racontée comme une parabole évangélique, jusqu’à devenir la vraie histoire de Jésus. Le vrai Jésus n’est pas celui qui est filmé comme tel, mais celui qui vit comme lui. Jusqu’au moment où le paradoxe se résorbe dans la rencontre des deux personnages : l’acteur meurt véritablement (et accidentellement) au moment où il représente le Christ sur la croix.
Quelques années auparavant, dans La ricotta (1963), Pasolini avait déjà mis en scène ce paradoxe de la même manière : le vrai Jésus n’est pas celui qui est filmé mais le mendiant dont personne ne s’occupe, jusqu’au moment où, lui aussi, meurt accidentellement en voulant jouer le Christ en croix. Dans ces deux films a-typiques sur Jésus, la vie et l’Evangile se rejoignent grâce à la fiction cinématographique.
On retrouve ce paradoxe (le Christ est bien présent, mais ailleurs que là où il prétend être montré, raconté, imité), dans des films qui s’attaquent aux méfaits du christianisme : le catholicisme est souvent dénoncé, mais aussi le protestantisme comme dans Le festin de Babette (1987) de Gabriel Axel ou Braeking the waves (1996), de Lars von Trier, au nom d’une autre idée de ce que devrait être la foi. Ces films anticléricaux sont souvent (mais pas toujours) des films bibliques.
La Bible est encore présente dans bien d’autres films [1] : il y a ceux qui, sans parler explicitement de l’Evangile, développent une histoire dans laquelle on retrouve les grands thèmes bibliques : le péché et la Grâce, le témoignage de la parole, la force dans la faiblesse, la confiance en un avenir réparateur, la force de la rédemption etc... De l’avis même des critiques cinématographiques, des films comme La Strada (1954) de Federico Fellini, E.T. (1982) de Steven Spielberg, Mattrix (1999) de Andy Wachowsky, ont une connotation chrétienne évidente. C’est aussi le cas de films récents, qui mettent en scène des figures christiques ou des témoignages à connotation évangélique : Tout sur ma mère (1999) de Pedro Almodova, L’homme sans passé (2002), de Aki Kaurismäki, Le Fils (2002), de Luc et Jean-Pierre Dardenne. Même dans Gang of New York (2003), de Martin Sorsese, les allusions christiques sont sans cesse présentes, comme d’ailleurs dans la plupart des films de celui qui, enfant, voulait devenir prêtre.
Enfin, quelques grands films religieux deviennent, à leur tour, médiateurs du religieux dans la culture contemporaine : leurs succès permettent alors au grand public de redécouvrir des figures chrétiennes et parmi elles, celui que notre culture n’arrive pas à oublier : le Christ.
Les films contestés sur Jésus
La liberté de la création artistique se heurte parfois à la puissance du dogme. Certains films sur Jésus furent objet de scandale, pour avoir été trop libres, trop provocateurs. Aux yeux de certains, ils donnaient une version trop personnelle, réductrice, de la foi chrétienne.
Au moins quatre films sur Jésus suscitèrent des réactions, parfois violentes :
La ricotta (1963), de Pier Paolo Pasolini valu à son réalisateur une condamnation sévère. Rome avait protesté. C’est pourtant l’un des films les plus évangéliques qui soit, et à mes yeux il dit aussi bien l’Evangile que l’autre film religieux de Pasolini, l’Evangile selon Saint Matthieu (1964). La vie de Brian (1979) de Terry Jones est une parodie de la vie de Jésus. Là encore, il faut pouvoir distinguer derrière l’humour typiquement anglais - et volontiers provocateur -, un témoignage sur le Jésus de la foi opposé aux clichés historiques et cinématographiques sur Jésus. Je vous salue Marie (1984) de Jean-Luc Godard choqua l’Eglise catholique par l’image trop humaine, profane, que le réalisateur donna de Marie. Une Marie bien protestante ! Enfin, La dernière tentation du Christ (1988) de Martin Sorsese, inspiré du livre de Kazantzakis, montra un Jésus trop humain, qui cède à la tentation. Le réalisateur avait pourtant pris soin de souligner qu’il ne filmait pas le Christ, mais une idée du Christ qui l’avait fasciné.
D’autres films firent réagir certains chrétiens, mais plus à cause de l’affiche du film que du film lui-même : Milos Forman dut retirer l’affiche de son film Larry Flynt (1997). Quant à Amen (2002) de Costa Gavras, qui mêlait une croix chrétienne et une croix gammée, ceux qui se sont insurgés ont fait preuve de méconnaissance historique : il y eut bien collusion entre le christianisme et le nazisme en Allemagne, ce que montrait précisément le film.
Il a dit
« Je suis anticlérical, mais je sais qu’habitent en moi deux mille années de christianisme (...) je serai fou si je niais cette force spirituelle qui est en moi »
Pier Paolo Pasolini
J.COTTIN
Pour poursuivre...
– Jesus comes from Hollywood, Manfred Tiemann Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002.