William B. Eerdmans Publishing Compagny. Grand Rapids, Michigan, 2017, 425 pages
David Lyle JEFFREY
Voilà un livre sur l’art chrétien occidental des origines (IVe s.) à nos jours (XXIe s.) qui est à la fois superbe et irritant. Il est publié chez un éditeur américain de tradition calviniste et puritaine, ce qui témoigne de l’évolution de ces milieux en ce qui concerne l’image. En tant qu’œuvre d’art - et surtout si elle se réfère aux récits bibliques - l’image n’a plus rien à voir avec l’idole dénoncée par le Réformateur de Genève et les Eglises qui se réclament de sa théologie.
L’ouvrage est superbe, car il propose pas moins de 146 visuels en quadrichromie, qui sont des œuvres d’art commentées de manière approfondie dans le corps de l’ouvrage (ce ne sont donc pas de simples illustrations, comme on le voit parfois dans certains ouvrages artistiques de piètre qualité). L’auteur s’efforce de proposer une étude complète de l’art chrétien à travers presque deux millénaires, ce qui est évidemment une gageure, mais il réussit assez bien dans le genre (au prix de quelques raccourcis et simplifications sur lesquelles on reviendra). Certains dossiers sont particulièrement approfondis, comme, pour le XVIe siècle, une étude iconographie du thème biblique de David et Bethsabé, sujet qui fut remis à l’honneur par la Réforme, précisément. Ou encore l’étude de deux figures contrastées mais non sans lien l’une avec l’autre : Gauguin et Van Gogh au XIXe siècle, ou encore le mouvement des Nazaréens à cette même époque.
Notre irritation vient de ce que, dans son étude, l’A. possède une grille de lecture, et qu’il présente comme une évidence une ligne théologique et esthétique qui sera rejetée par la majorité des historiens d’art comme des théologiens qui s’occupent de ces questions, en tous cas sous nos latitudes (il s’agit ici d’un regard texan sur l’art occidental européen, ce qui réserve quelques surprises !). D’abord, en ce que l’auteur a la conviction que l’art contemporain s’est éloigné de sa spiritualité d’origine, et qu’il ne peut qu’y retourner. Il s’appuie pour cela sur la pensée du philosophe chrétien noé-thomiste Jacques Maritain (un protestant libéral convertit au catholicisme) qui fut certes stimulante au milieu du siècle passé, mais qui reste marquée par une conception très ecclésiale de l’art. Ensuite, parce qu’il ignore la quasi totalité des artistes du XXe siècles qui se confrontèrent à des thèmes bibliques, ce qui est quand même embêtant. Certes, il s’intéresse à la Crucifixion de Picasso, mais c’est pour montrer à quel point elle est anti-chrétienne. Qu’en est-il des nombreux expressionnistes allemands qui firent des sujets bibliques (le plus célèbre étant Emil Nolde) ? Il n’en dit mot, ils ne sont même pas nommés. Pire, l’artiste français Alfred Manessier, qui a trouvé son nouveau style artistique en se convertissant au christianisme n’est ni étudié, ni évoqué, ni nommé. Son double geste artistique et religieux va pourtant tout à fait dans le sens de la démonstration de l’A. Enfin, notre auteur ignore superbement (c’est sans doute pour cela qu’il a écarté Manessier) l’art abstrait, incontournable au XXe (et XXIe) siècle, et qui pourtant, dès ses origines (Kandinsky, Mondrian, Malevich), revendique des relations particulières avec "le spirituel".
Le seul artiste contemporain qui trouve grâce à ses yeux est Arcabas (le français Jean-Marie Pirot), dont on se réjouit qu’il soit ici étudié, mais sa peinture "facile" (elle plaît au grand public - surtout chrétien - par sa profusion de couleurs vives, l’usage de l’or et une figuration récurrente), si elle est bien biblique, ne saurait être comparée aux grands artistes européens (et mondiaux) de la fin du XXe et du début du XXIe siècle.
Jérôme COTTIN