Paris, Cerf - Tricorne, 1993
Auteur : Odile DELENDA
Contrairement à Zurbaran ou au Greco, grands peintres mystiques du baroque espagnol, Velazquez ne consacra qu’un cinquième de sa peinture à des thèmes religieux, ce qui explique que cette oeuvre ne fut guère étudiée pour elle-même. C’est maintenant chose faite, avec ce très beau livre d’art qui constitue également un manuel d’iconographie de premier ordre : pour les dix-huit tableau religieux étudiés, les sources scripturaires ainsi que le contexte historique et théologique sont soigneusement étudiés. Judicieusement, l’a. ne s’est pas arrêtée sur des questions techniques de datation et d’attibution, ce qui aurait alourdi inutilement le commentaire.
On retiendra de l’ensemble le lourd tribut que Velazquez paye à la censure romaine ainsi qu’aux puissantes congrégations jésuites et dominicaines. Le peintre se devait d’exprimer la parfaite orthodoxie de l’art chrétien, dans le climat d’austérité de la Réforme catholique post-tridentine. Son beau-père, le peintre et théoricien de l’art Francisco Pacheco, lequel avait été nommé censeur de peinture religieuse par l’Inquisition, joua un rôle de premier ordre dans la carrière de celui qui deviendra à partir de 1623 le peintre officiel du roi Philippe IV. Dans cette ligne, l’a. a maintes fois relevé, parfois de manière un peu trop appuyée, la portée anti-protestante de cet art.
Ces considérations ne sauraient pourtant suffire à nous désintéresser de l’aspect proprement religieux de cette peinture. D’une part parce que Velazquez est incontestablement un très grand artiste, et qu’alors la puissance esthétique de l’expression supplante la vérité dogmatique de la représentation. Mais on découvre également que les contraintes imposées par la Réforme catholique n’étaient pas toutes dénuées de valeur théologique : en prônant un art religieux secundum historiam, la Réforme catholique opéra un authentique recentrement biblique, même si d’autres thèmes liés aux grandes figures de la foi catholique furent également remis en valeur.
Cet ouvrage nous montre que Velazquez est bien un pictor christianus eruditus mettant son talent de peintre au service d’une authentique foi chrétienne, comme le montre son Christ en croix dit "de San Placido" (1630) qui est une profonde méditation sur la faiblesse du Christ mort, que Luther n’aurait pas reniée.