Paris : Les Editions de Minuit, 1991
Auteur : Olivier CHRISTIN
Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’une double approche de l’iconoclasme protestant. Notre proximité historique et religieuse fait que je m’intéresserai surtout à la première. Il s’agit là d’un ouvrage important pour au moins trois raisons :
1) Le thème étudié : Délaissant les approches apologétiques ou polémiques (courantes jusqu’en 1950-60) d’un phénomène qui a déchiré la France entre 1530 et 1570, l’a. se propose de comprendre la signification interne de l’iconoclasme, c’est-à-dire d’en reprérer les fondements théoriques et politiques. Il ne se contente ainsi pas de décrire des faits, mais il en repère les articulations cachées. L’a. cherche avant tout à répondre à ces deux questions : a) Pourquoi la violence s’est-elle exercée principalement sur des objets (plus que sur des personnes) ? b) Pourquoi ces objets ont-ils été détériorés ainsi (mutilés plus que détruits) ? Il est d’autant plus difficile de répondre à ces questions que la signification de l’iconoclasme évolue en fonction du changement du contexte historique, politique et social dans lequel il se trouve inséré.
2) La méthode employée : Se démarquant d’une historiographie décontextualisée (on généralise abusivement les faits) ou anachronique (on prête aux images du 16e siècle des fonctions artistiques qu’elles n’avaient aucunement pour les protagonistes d’alors), l’a. étudie des dossiers précis . Il privilégie ainsi la région rouennaise qu’il connait bien, (mais d’autres points névralgiques comme Angers, le Mans, Saumur, Paris, sont également pris en compte) et multiplie les approches des objets détruits : plastique (quel détail ? sur quel objet ? et à quel lieu ?), sociologique (dans quel contexte historique ? dans quel temps liturgique ? avec quels protagonistes ?) économiques (qu’a-t-on fait des objets détruits ou volés ? Comment les a-t-on reconstruits ?) religieuse (quels rapports entre les mouvements iconoclastes et d’une part les autorités politiques et religieuses du protestantisme français, d’autre part les écrits et prédications de Calvin, Farel, Bèze, Viret ?). Le sujet aurait pu être traité d’une manière unilatérale, privilégiant les faits historiques, ou au contraire les idées religieuses. L’a. nous propose une synthèse savamment dosée de ces deux lignes inextricablement liées.
3) La thèse défendue : il est tout à fait insuffisant d’évaluer ces actes destructeurs en terme de mouvements de révoltes ou de vandalismes. Destructeurs ils le sont certes, mais ce ne sont pas de simples actes gratuits de vengeance. Il s’agit beaucoup plus fondamentalement, d’actes lourds de sens, qui font de l’iconoclasme protestant (surtout à partir de 1561-62) une véritable révolution symbolique. Politiquement, cette révolution iconoclaste symbolise la conquête d’un pouvoir, l’appropriation des espaces urbains, la mise en place de procédures judiciaires qui s’apparentent à des exécutions capitales. Religieusement, on peut parler de rituels de purification qui visent à une "recomposition de la sacralité" : il s’agit de lutter contre l’infiltration du sacré dans le profane en montrant que les objets ne sont que des objets. On est ainsi face à une "rhétorique de la dénonciation" qui vise à faire reculer les frontières du sacré. Il existe donc bien une logique (religieuse autant que politique) de l’iconoclame huguenot
De cette thèse passionnante, et qui aide à comprendre certains blocages du protestantisme français actuel dans ses rapports avec l’objet, l’image, ou le symbolique, on retiendra encore les points suivants :
a) L’iconoclame est en fait une idolâtrie inversée dans la mesure où une même logique les sous-tend. L’a. montre en effet comment la destruction des images est une véritable "mise à mort de l’idole" (pp. 131-134). On ne s’étonnera alors pas que les iconoclastes parlent, menacent, torturent, et enfin tuent l’idole, comme ils le feraient d’une personne réelle. Il s’agit bien d’une sorte de "réitération du martyre" (pp. 134-138) : "les huguenots français retournent aux images les brutalités dont ils sont eux-mêmes les victimes".
b) L’iconoclasme s’apparente également à une action pieuse, guidée par une motivation didactique et une intention édifiante évidentes. On peut ainsi aisément dresser une géographie théologique des actes de destruction. L’iconoclasme ne frappe pas au hasard, et sélectionne soigneusement ses cibles : plus le signe visuel est en rapport avec la liturgie romaine ou les symboles du pouvoir ecclésiastique, plus il sera détruit. A titre d’exemple : le Christ bénissant de la cathédrale de Bouges a eu la main droite détruite ; en revanche sa main gauchre, qui tient un Livre, est restée intacte.
c) On appréciera, enfin, que l’a. connaisse bien la théologie réformée : sa présentation des différentes positions des acteurs de la Réforme (Luther, Calvin Zwingli, Carlstadt, Haetzer) concernant les images est claire, précise, concise (pp. 35-45). L’a. montre également l’influence des Libri Carolini, réédités en 1549, sur l’édition de 1559 de l’Institution chrétienne (pp. 49-55). Il insiste, enfin, sur la position modérée des réformateurs et des notables protestants soucieux de canaliser les mouvements iconoclastes et d’éviter les débordements révolutionaires de ce mouvement protestataire qui poursuit des logiques parfois contradictoires.
La partie concernant la "reconstruction catholique" (dans laquelle l’argumentation des théologiens catholiques, ses apories, ses conséquences, est soigneusement étudiée) est tout aussi remarquable. Un livre à lire et à étudier absolument.