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Réflexion

Iconoclasme

IV. Prudence des Réformateurs

Ce serait une erreur de confondre iconoclasme et Réforme, même si les deux phénomènes se recouvrent partiellement. Les iconoclastes voulaient détruire, faire table rase du passé ; ils avaient une démarche extrémiste, révolutionnaire. Les Réformateurs voulaient construire ; ils mettaient en avant autant la continuité que la rupture. Ils voulaient transformer le passé, non l’effacer. Et s’ils furent tentés par l’iconoclasme, ce fut plus au niveau de la pensée que de l’action.
De fait, aucun Réformateur ne fut à la tête des mouvements iconoclastes qui étaient conduits par des hommes d’action, aux ambitions théologiques plus modestes (Carlstadt, à Wittemberg, Leo Jud, à Zurich, Nicolas Manuel, à Berne, Fromment, à Genève).

Les trois principaux Réformateurs réagirent de manière fort différente à l’iconoclasme, mais ces attitudes fortement contrastées eurent un point commun : elles étaient marquées par la modération, une certaine réserve, et surtout le souci de la reprise en main politique d’un mouvement dont ils sentaient bien qu’il risquait de menacer le nouvel équilibre, encore fragile, qu’il essayaient d’instaurer. L’iconoclasme ne menaçait pas simplement le parti adverse, mais la Réforme elle-même.

Le plus radical, le plus directement mêlé à l’iconoclasme, est Zwingli. Il siège au Conseil de la ville lors des troubles iconoclastes de 1524 à Zurich. C’est même sous son influence que le Conseil de la ville prend la décision d’éliminer toutes les idoles des églises de la ville, entre le 20 juin et le 2 juillet de cette même année. Voyant les murs intérieurs des églises recouvertes à la chaux, le Réformateur s’écrie, enthousiaste : “ Ils sont joliment blancs ! ” Zwingli inaugure ainsi une sorte d’iconoclasme institutionnel, qui sera imité par plusieurs villes de Suisse et d’Allemagne : oui à l’élimination des idoles, mais tout doit être fait selon les directives des autorités en place ; rien ne doit être laissé à l’initiative et à la spontanéité du peuple.

Luther, le contemporain de Zwingli, adopte la position inverse : il s’oppose à tout acte iconoclaste, et recommande au contraire que l’on laisse les images en place puisque, pour lui, l’idole n’est pas dans l’image, mais dans une relation pervertie que l’on instaure avec elle. Ainsi la meilleure façon de détruire l’idole est de changer notre relation à l’image, non de la détruire. C’est même pour éviter que le mouvement iconoclaste ne se propage que Luther quitte son repaire de la Wartburg en mars 1522. Il prononcera à cette occasion quelques sermons célèbres, les prédications de l’Invocavit dans lesquelles il précise sa conception des images, marquée par le souci du juste milieu : ni destruction, ni adoration, mais utilisation possible à des fins pédagogiques, si cela peut aider à faire connaître la Parole.

Calvin, tout en suivant son aîné de Zurich dans une volonté de purifier le christianisme des idoles, se méfie des actions iconoclastes, surtout si elles sont spontanées. L’iconoclasme de Calvin est bien réel, mais reste verbal. Il n’a participé à aucun acte iconoclaste à Genève, et prône à plusieurs reprises la modération. En fait, son principal souci est ailleurs, dans la revendication de la transcendance absolue de Dieu, que l’on ne saurait ni voir ni représenter.

Calvin a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de se distancer des iconoclastes huguenots : dans une lettre de juillet 1561 à l’Eglise de Sauve, le Réformateur condamne les actes destructeurs du ministre de cette Eglise, car, dit-il, “ jamais Dieu n’a commandé d’abatre les idoles sinon à chacun en sa maison, et en public à ceux qu’il arme d’authorité ”. Lors d’une nouvelle vague iconoclaste au printemps 1562, le Réformateur écrit au baron des Adrets pour lui signifier son opposition aux destructions commises par les soldats. Aux yeux du Réformateur, il est inadmissible que “ les soudarts prétendent de butiner les calices, reliquaires et tels instruments des temples ” (on voit dans cette liste que les idoles visées sont tout autre chose que des “ images ”). Réflexion et modération doivent guider notre action, comme notre relation aux images.

Et Bucer ?

Dans la présentation de la pluralité des positions de la Réforme, on oublie souvent le Réformateur de Strasbourg. Il a pourtant sur certaines questions une voix particulière à faire valoir (sur la confirmation, par exemple). Sur la question des images et de leur interdiction, Bucer sera le plus prolixe des Réformateurs, puisqu’il écrira deux opuscules, en 1524 d’abord, puis en 1530, pour justifier l’iconoclasme strasbourgeois, décrété par le magistrat.

Sa position est proche du radicalisme de Zwingli : on doit ôter les images aussi bien du cœur de l’homme que des églises. Les images de bois et de pierre ne sont que de “ pauvres imitations humaines ”. Elles empêchent la véritable adoration de Dieu, qui se fait en esprit et en vérité ; toute image du Christ est donc au mieux inutile, au pire néfaste. Le Réformateur argumente aussi historiquement, en affirmant que le christianisme primitif et les Pères ont rejeté les images. Pour lui l’image est morte, contrairement au signe biblique qui, lui, est vivant. Mais parmi ces signes, Bucer compte également des réalités visuelles, qui ne sont certes pas des images, mais qui sont plus que des mots : la nature, la création, l’être humain.

Contrairement à Zwingli, Bucer n’est pas un grand amateur d’art ; mais, comme lui, il pense que l’art peut être un don de Dieu.

Il a dit :
«  Toute idolâtrie ne réside pas seulement en ce qu’on élève et qu’on adore une statue, mais bien, et avant tout, dans le cœur qui regarde ailleurs [...] et ne croit pas que les bienfaits qui lui échoient viennent de Dieu.  »
Le Grand catéchisme, Martin Luther

Jérome Cottin
(article parru dans Réforme N°2968)

Pour poursuivre...
 La guerre des images Serge Gruzinski Fayard, 1990.