Yves BOUVIER, Christophe COUSIN, Ronchamp, une chapelle de lumière, CRDP de Franche-Comté, Néo éditions, 2005.
90 pages, avec de nombreuses planches couleurs.
Cet ouvrage existe également en traduction anglaise et allemande.
Auteurs : Yves BOUVIER, Christophe COUSIN.
Ce livre, qui existe également en traduction anglaise et allemande, a été réalisé par un historien de l’art de Besançon et un plasticien de Belfort, amoureux l’un et l’autre de l’œuvre du Corbusier (de son vrai nom Charles-Edouard Jeanneret). Il a été réalisé à l’occasion du cinquantenaire de la construction de la chapelle Notre Dame-du-Haut (1955-2005), qui est sans doute le monument religieux le plus novateur et original du 20e siècle. De fait, sa réputation internationale n’est plus à prouver.
On sent que les auteurs habitent ce bâtiment, viennent le visiter et y méditer régulièrement. Le livre est conçu comme une visite virtuelle de la chapelle qui - on ne le sait pas assez - est conçue pour être utilisée de l’intérieur et de l’extérieur, tel ces vestes réversibles, que l’on peut porter dans les deux sens. Non seulement ce petit livre rengorge de photos et multiple les points de vue sur un même objet, mais il est muni d’un plan de la chapelle qui indique très précisément l’endroit où s’est placé le photographe (et où se place aussi l’œil du regardeur). Si l’on ajoute à cela les deux doubles pages de photos qui s’ouvrent au centre pour devenir des quadruples pages (l’une pour une visite extérieure, l’autre pour une visite intérieure), on doit avouer que le livre acquiert une dimension quasi spatiale, plastique. Les auteurs ont sans doute conçu ce livre comme un espace architectural non seulement à regarder, mais aussi à habiter.
C’est la célèbre double voûte en béton armé, soit voile, soit coque, qui fit la célébrité de ce bâtiment réalisé en béton brut (Le Corbusier fut un disciple de Auguste Perret qui, le premier, réalisa des architectures religieuses en béton). On apprend que la carapace d’un crabe servit de modèle à cette double coque, véritable prouesse technique, qui inclut par ailleurs la fameuse proportion "idéale" calculée par Le Corbusier, le "Modulor".
De nombreux autres éléments, à la fois architecturaux, spatiaux, liturgiques contribuent à la réussite de cet ensemble empreint d’une spiritualité ascétique, monastique et - on y reviendra - protestante : les deux chapelles "enroulées", les puits de lumière, l’alliance de courbes et des droites, le lyrisme des matériaux, la pierre granuleuse qui fait vibrer la lumière, le "mur verrière" côté sud, ainsi que des détails signifiants, comme la gargouille en forme d’oméga (ce que les auteurs n’ont pas perçu), le motif artistique abstrait qui décore la porte principale (Le Corbusier était aussi peintre), ainsi que tout le mobilier liturgique intérieur - et extérieur -, également conçu par l’architecte, et qui fait partie intégrante de l’ensemble.
Dommage que les auteurs connaissent si mal la théologie chrétienne, le symbolisme liturgique, jusqu’à ignorer - apparemment - les fortes racines protestantes du Corbusier (né à la Chaux-de-Fond, en territoire réformé). Cette faiblesse du commentaire spirituel affaiblit de beaucoup une écriture qui, quand il s’agit des thèmes plastiques et architecturaux, est à la fois précise et claire. Certes il s’agit d’une chapelle catholique, et Le Corbusier est parfaitement entré dans l’esprit d’une commande d’un bâtiment dédié à Marie, situé sur un lieu de pèlerinage. Mais de là à imaginer que l’architecte avait une piété mariale (pp. 82-83), il y a un pas trop vite franchi.
De même, les auteurs n’ont pas perçu à quel point le primat d’un l’espace "vide", le jeu d’une lumière "pure" sur les formes, sont certes un acquis de la modernité esthétique, mais sont aussi typiques d’une spiritualité protestante et plus précisément réformée. Le vide, l’espace, l’intériorité, l’absence de couleurs, une iconographie réduite à des signes, tout cela est constitutif de l’esthétique réformée que Le Corbusier connaissait, avait vécue, et qu’il a su reformuler dans un langage plastique neuf. Les deux chapelles "enroulées" au Nord et au Sud, marquées par une esthétique du vide, et véritables "pièges à lumières", sont de magnifiques exemples d’une spatialité (et non sacralité) réformée, malgré et peut-être grâce à la catholicité du lieu. En ce sens, on peut considérer la chapelle de Ronchamp comme une expression artistique à la fois moderne et œcuménique.
Jérôme Cottin