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EXPOSITION :" La Grâce", à Paris (2018)

14 artistes exposent sur le thème de "La grâce".

L’exposition, organisée par "Protestantisme & Images", s’est tenue à la faculté de théologie protestante de Paris, 83 Bd Arago, Paris 14e, du 6 au 25 mars 2018.

Quatorze artistes ont été sélectionnés pour présenter leur travail : Catherine Axelrad (impressions sur toile), Miryam Barnini (sculptures), Laurence Berthelot (oeuvre en papier), Élodie Cariou (installation émail), Brigitte Dautrême (encres et collages), Jocelyne Creusier (statuettes bronze), Annie Donnay (peinture technique mixte), Nicole Dupont (installation béton cellulaire), Claude Gaudriault (peinture à la cire perdue), Ann Bruce Hénaff (collage), Claude Klimsza (sculpture métal), Odette Lecerf (sculpture), Thaddée (collages sur papier), Sylvie Tschiember (écriture).

Le vernissage a lieu le mardi 6 mars 2018 à partir de 18h00.
Il a été précédé par un mot d’introduction d’Emmanuelle Seyboldt, Présidente du Conseil national de l’Église protestante unie de France, et de Jérôme Cottin, professeur à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg.

Vous pouvez visualiser les œuvres exposées ici https://vimeo.com/297574588
ainsi que la vidéo "Selon la Grâce" https://vimeo.com/296947299

Texte d’ouverture de Jérôme Cottin : de la grâce (théologique) à la grâce (esthétique)

 La grâce : voilà un mot qui est à la fois théologique et artistique : théologiquement, la grâce est au centre de la théologie protestante, puisque la Réforme au XVIe siècle a débuté par la découverte qu’a faite Luther, que la grâce est au cœur de la relation entre l’humain et Dieu. Une relation fondée sur l’amour et la confiance de Dieu et l’homme. Mais la grâce a aussi une connotation esthétique, dans la mesure où l’on parle d’un objet gracieux, d’une personne gracieuse. La grâce, c’est la légèreté, la beauté, la finesse et souplesse des formes.
 Le protestantisme a sans doute survalorisé la grâce au sens théologique et oublié la grâce au sens esthétique. Je me souviens des mots du professeur André Dumas, qui enseigna la philosophie dans cette maison (la faculté de théologie protestante de Paris), à propos de la figure de Marie (on sait que le protestantisme a rejeté le culte marial) : les protestants approuvent et soulignent que Marie est graciée (comme tout croyant, elle bénéficie de la grâce de Dieu) ; ils refusent Marie graciante (dispensatrice de la grâce, ce qui est réservé à Dieu seul) ; ils ont oublié Marie gracieuse (l’esthétique, la beauté sont trop souvent absents du protestantisme, et souvent liée à la féminité).
 Le sujet de cette exposition vient donc réparer un double oubli dans le monde protestant : oubli de l’esthétique : en général le protestant(isme) est austère, rigide et souvent laid. Oubli que la grâce peut être gracieuse ; elle produit des effets, et parmi ces effets, il y a celui de la beauté (le seul théologien protestant qui a insisté sur ce lien est le théologien calviniste américain Jonathan Edwards du 18e s., fondateur de l’Université Princeton).
 Mais qu’est-ce que la grâce ? Et peut-on passer de la grâce théologique à la grâce esthétique ou, à l’inverse, de la grâce esthétique à la grâce théologique ? Laissons-nous guider par la Bible :
 Le mot « grâce » se trouve 215 fois dans la Bible, mais on le trouve surtout dans le Nouveau Testament (139 fois), bien plus que dans l’Ancien Testament (51 fois). La grâce est en effet considérée comme le don gratuit que Dieu fait à l’humanité en Jésus-Christ. L’apôtre Paul, le théologien et le théologien de la grâce (qu’il a reçue personnellement comme une expérience de libération, avant d’en parler de manière plus théorique), le dit explicitement à de nombreuses occasions. Je prends deux exemples tirés de son épitre aux Romains  : « […] mais tous sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus-Christ » (Rm 3,24), ou encore : « La grâce de Dieu, grâce accordée en un seul homme, Jésus-Christ, s’est répandue en abondance sur la multitude ». La grâce (= le pardon, la délivrance, l’amour inconditionnel) de Dieu est universelle ; elle est promise à tous, sans conditions.
 Qu’en est-il de la grâce esthétique ? A première vue, la Bible s’en méfie. Ainsi dans un passage qui décrit « la femme de caractère », le livre des Proverbes dit : « La grâce trompe, la beauté ne dure pas. La femme qui craint le Seigneur, voilà celle qu’on doit louer  » (Pr 31,30). L’auteur de ce livre, un tant soit peu misogyne, condamne la beauté gracieuse féminine. Mais c’est là son avis, un avis personnel, qui est loin d’être partagé par tous. Ailleurs, le Psaume 45,3 par exemple, dit que la grâce reçue de Dieu se voit sur le visage du croyant, le rend beau : « Tu es le plus beau des hommes, la grâce coule de tes lèvres ; aussi Dieu t’a béni a jamais  ». Ici non seulement celui qui loue Dieu est dit être beau, mais il crée aussi de la beauté. L’homme dont il est question est en effet un poète, puisque ce même Psaume commence ainsi (Ps 45,2) : « Le cœur vibrant de belles paroles, je dis mes poèmes en l’honneur d’un roi, que ma langue soit la plume d’un habile écrivain ».
 Il faut donc lire attentivement certains textes de la Bible qui disent, à leur manière et dans leur langage, ce lien entre la grâce théologique et la grâce esthétique, lien qui peut être exprimé verbalement, musicalement ou plastiquement, dans les deux sens : la grâce de Dieu produit la grâce humaine, et à l’inverse la grâce produite par le geste artistique de l’humain peut être un reflet de la grâce inconditionnelle de Dieu pour tous, et d’abord pour les plus authentiques et les plus faibles parmi ses créatures.

A méditer : texte de Dietrich Bonhoeffer sur la grâce

La grâce

Voici que la grâce de l’Evangile,
Si difficile à comprendre aux gens pieux,
Nous met en face de la vérité et nous dit :
Tu es un pécheur, un très grand pécheur,
Incurablement,
Mais tu peux aller, tel que tu es,
À Dieu qui t’aime.
Il te veut tel que tu es,
Sans que tu fasses rien,
Sans que tu donnes rien,
Il te veut toi-même, toi seul...
Réjouis-toi !
En te disant la vérité, ce message te libère.
Dieu veut te voir tel que tu es pour te faire grâce.
Tu n’as plus besoin de te mentir à toi-même
Et de mentir aux autres
En te faisant passer pour sans péché.
Ici, il t’est permis d’être un pécheur,
Remercie Dieu.

Dietrich Bonhoeffer (théologien luthérien allemand assassiné par les nazis en 1945)

Lionel Thébaud nous invite à approfondir le sens littéraire et biblique du mot "grâce"

Exemples d’utilisation du mot « grâce »
Le mot français « grâce » (du latin gratia) a donné lieu à de nombreuses expressions :
« Avoir de la grâce » = avoir charme, élégance et beauté
« De grâce ! » = s’il vous plaît, par bonté
« Être en état de grâce » = tout réussir, « l’état de grâce » désignant une période faste
« Être en grâce » / « trouver grâce » = avoir la faveur de quelqu’un
« Grâce à quelqu’un » = à cause de son intervention positive
« De bonne grâce » = volontiers, de bon gré.
« Rendre grâce » = remercier
« Action de grâce » = parole ou geste qui marque le remerciement
Autres mots français dérivant du latin gratia : gratuit, gracieusement, à titre gracieux...
La grâce dans la Bible
Les textes hébraïques utilisent plusieurs termes pour évoquer la grâce. Ces termes parlent de bienveillance, de faveur, d’agrément, de charme, de compassion, de bienfait, de fidélité. Le mot le plus fréquent, hèssèd, parle de l’assistance effective que l’on peut attendre d’un proche ou de quelqu’un avec qui on a fait alliance.
« ...Le SEIGNEUR passa devant [Moïse] en proclamant : Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté, qui conserve sa fidélité jusqu’à la millième génération, qui pardonne la faute, la transgression et le péché... » (Exode 34,6-7a)
Les textes grecs traduisent les termes hébreux par charis, qui se charge aussi des sens de beauté, don gratuit, remerciement. Un autre terme grec exprime un aspect de la grâce : charisma, qui évoque le don et ses dérivés (pardon, faveur, remise de peine...).
« … Comme ils n’avaient pas de quoi le rembourser, il leur fit grâce à tous les deux. Lequel des deux l’aimera le plus ? Simon répondit : Je suppose que c’est celui à qui il a fait grâce de la plus grosse somme. Jésus lui dit : Tu as bien jugé. » (Luc 7.42-43)
Quelques mots français dérivant du grec charis : charisme, charité...
La grâce, telle que la comprend l’apôtre Paul, a quelque chose d’exclusif, qui peut apparaître comme un paradoxe :
 Tous les domaines de la vie sont concernés par la grâce ;
 Vivre de la grâce exclut tout autre système de justification de soi ;
Pour Paul, la grâce ne peut être qu’absolument gratuite, libre de toute contrainte, de toute condition.
Pourtant, la grâce a un coût, selon l’expression de Bonhoeffer dans son livre Le prix de la grâce. Il y a donc un prix à assumer pour quiconque accepte de vivre de la grâce, alors même qu’elle est donnée gratuitement.
Dans le Nouveau Testament, la grâce est cette opération réalisée par Dieu, par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, qui permet aux êtres humains d’être justifiés et rendus capables de bonté. La grâce serait alors l’expression du pardon de Dieu. Souvent la grâce est opposée aux œuvres mais le salut ne peut qu’être un cadeau de Dieu à l’être humain : c’est une grâce.
La grâce est la démonstration de l’amour de Dieu pour tout être humain, quelles que soient ses actions.
« Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis » (1,Cor 15.10)
La grâce est destinée à être manifestée, partagée.

Lionel Thébaud