Paderborn München Wien Zürich, Ferdinand Schöningh, 2004. 145 p.
Auteur : Reinhard HOEPS (ed.)
Arnulf Rainer, né en 1929, est peu connu en France, encore moins dans les milieux d’Eglise. Il est pourtant l’un des peintres actuels les plus célèbres d’Autriche, son pays natal, et l’un de ceux qui, depuis plus de 50 ans, s’est confronté le plus régulièrement avec la tradition de l’art chrétien.
« Confronté » est le mot juste, car Rainer utilise et refuse à la fois les motifs chrétiens, à travers sa technique très personnelle des « surpeintures », ou « recouvrements » (Übermalungen). De quoi s’agit-il ? Rainer, très tôt, se mit à recouvrir une surface déjà peinte (par lui ou par d’autres) de grands aplats de peintures, ou au contraire de traits nerveux issus d’un contact parfois physique avec la toile (d’où un certain nombre de peintures aux doigts). Puis il s’est mis à recouvrir des motifs religieux (croix, Christs, vierges, saints, anges), non des originaux bien sûr, mais des photographies d’œuvres chrétiennes anciennes. Ce geste, que l’on pourrait au départ qualifier d’iconoclaste, se prête à des lectures multiples et antithétiques : les destructions et recouvrements ne sont parfois que l’aspect négatif d’une démarche positive qui fait naître une seconde fois la figure, qui la cache pour mieux la révéler.
Au départ uniquement esthétique et plastique, provocatrice même, la démarche de Rainer est devenue de plus en plus interrogative, mystique, positive. Les sujets religieux ont été plus soulignés que surpeints, et ils réapparaissent avec une insistance troublante. Le peintre a beaucoup lu les mystiques, il a dialogué longuement avec l’un de ses admirateurs et promoteurs - l’archévêque de Vienne Otto Mauer - , si bien que sa démarche contestatrice et destructrice a été au contraire perçue comme novatrice et offrant la possibilité d’un dialogue nouveau entre l’art actuel et le christianisme. Un témoignage de cette évolution fulgurante du peintre - et sa réception positive dans l’Eglise catholique - est le Doctorat Honoris Causa qu’il a reçu et accepté de la part de la faculté de théologie catholique de Münster-Westphalie.
Cet ouvrage, édité par l’Institut d’art chrétien (catholique) de cette faculté, est en fait un catalogue d’une exposition des œuvres de Rainer organisée de juin à septembre 2004 à l’occasion de la remise de ce grade universitaire. C’est d’abord un beau catalogue, puisque plus de 100 œuvres en couleur du peintre sont reproduites. La plupart sont des œuvres « religieuses » c’est à dire dont le sujet (recouvert, caché, voilé puis dévoilé) est issu de l’iconographie chrétienne, mais nous avons aussi un certain nombre d’œuvres profanes : nus féminins, autoportraits photographies de l’artiste en des poses burlesques, traces réalisées par de chimpanzés sur la toiles, monochromes.
Un commentaire très fouillé du théologien catholique Reinhard Hoeps propose une lecture de cette œuvre peinte au départ énigmatique, mais qui se dévoile peu à peu. Hoeps montre bien à la fois la liberté de l’œuvre de Rainer, indépendante de tout concept, de toute philosophie ou idée théologique - il s’agit d’abord d’une démarche artistique, et même plastique, jouant sur la force expressive du matériaux et du geste qui le pose sur une toile ou un corps (Rainer a surpeint aussi des corps humains, et même des cadavres). Mais cette œuvre, de part sa force expressive, négative, destructrice, n’est pas sans rejoindre quelques idées forces de la théologie, en particulier à travers cette dialectique de recouvrement/dévoilement qui, métaphoriquement, dit aussi le mystère et le paradoxe de la foi chrétienne.
Jérôme Cottin