Le protestantisme (surtout réformé) est réputé être contre les images ; et effectivement, il l’est : les temples sont vides de toute image, l’image ne joue aucun rôle dans la piété protestante. Elle est au contraire soupçonnée d’être l’idole dont il faut au mieux se méfier, au pire détruire ou refuser absolument. L’interdit biblique du second commandement « Tu ne te feras pas d’images... » (Ex 20, 4 ou Dt 5, 8) est l’un de ceux qui a le plus marqué la mémoire protestante.
Cette mémoire protestante, en France tout au moins, est marquée par une double tradition :
– La lecture de la Bible tout d’abord, avec une insistance particulière sur l’Ancien Testament et sur les nombreux récits des prophètes qui se sont opposés au culte des idoles (Osée, Elie, Jérémie etc..). Dans la Bible, l’affirmation de l’invisiblité de Dieu est constante (en opposition aux religions paiennes, qui avaient des dieux visibles.
– Les événements iconoclastes, qui accompagnèrent la Réforme en France et en Suisse ont aussi marqué les mentalités : les protestants, qu’ils soient persécutés en France, ou en situation de pouvoir en Suisse, s’en prirent très violemment aux images culturelles, qui symbolisaient pour eux le pouvoir d’une institution toute puissante, ou encore une mauvaise pratique et expression de la foi chrétienne (liée à une théologie des œuvres.
Malgré ces réticences, on peut affirmer qu’aujourd’hui le protestantisme s’ouvre de plus en plus aux images, jusqu’à faire parfois d’elles un lieu d’expression privilégié de la foi chrétienne. Il y a donc eu, ces dernières années, une très nette évolution, parfois presque une « révolution » sur cette question : l’image, qui était auparavant considérée comme une idole, devient maintenant un outil efficace pour transmettre la foi ou pour appréhender de manière ludique et artistique les textes bibliques.
Des raisons à la fois historiques et actuelles expliquent cette tardive redécouverte du rôle positif des images dans le protestantisme. J’en évoque ici quelques unes.
Raisons historiques :
– A la Réforme, tous les protestants ne furent pas contre les images, mais les seuls calvinistes (appelés aujourd’hui « réformés »). L’autre branche du protestantisme, le luthéranisme fut plutôt favorable aux images, comme le montra l’attitude de Martin Luther : il condamnait toute dévotion aux images, mais utilisait par ailleurs les images pour la transmission de la foi.
– On a également découvert récemment que l’image eut un rôle important dans la diffusion des idées de la Réforme en Allemagne du 16e siècle : la Réforme s’appuya certes sur le texte imprimé pour diffuser ses idées, mais aussi sur l’image imprimé qui joua un rôle non négligeable dans la diffusion des idées nouvelles. A cela s’ajoute le talent d’artistes exceptionnels qui, comme Cranach ou Dürer, embrassèrent les idées de la Réforme.
Raisons actuelles :
– Nous vivons aujourd’hui dans un monde d’images, et nous ne pouvons pas ne pas communiquer ou chercher à transmettre nos convictions sans l’aide d’images, au risque de nous marginaliser, de nous couper de la société dans laquelle nous vivons. Si nous voulons continuer à être écoutés, entendus, il nous faut utiliser l’une de formes de communication les plus importantes aujourd’hui, qui est l’image médiatique.
– On découvre également aujourd’hui que faire appel à l’image, c’est prendre au sérieux l’imaginaire, le corps, le symbole, les émotions, bref, l’humanité dans une de ses réalités essentielles : l’être humain n’est pas simplement un cerveau qui pense, c’est aussi un corps qui agit, une sensibilité qui s’exprime. Redécouvrir l’image aujourd’hui va de pair avec une prise au sérieux de l’humain dans sa corporéité, dans son humanité.
– Enfin, les nouvelles lectures de la Bible nous montrent que même si la Bible est constituée uniquement de textes, ce sont souvent des textes qui foisonnent d’images : récits, paraboles, symboles, actes prophétiques, jusqu’au Christ lui-même qui, s’il n’est pas une image (mais une personne réelle), constitue bien une forme de visibilisation de Dieu : en Christ et avec lui, l’invisibilité de Dieu n’est plus totale, du moins pendant le moment de la vie terrestre de Jésus. L’apôtre Paul ne dit-il pas que le Christ est la seule image de Dieu, l’image visible du Dieu invisible ? (2 Co 4, 4 ; Col 1, 15 ; Ph 2, 6) ?
Voilà, parmi d’autres quelques raisons de s’intéresser à l’image et de l’accueillir positivement dans le protestantisme. Mais nous devons toutefois toujours avoir présent à l’esprit le fait que l’image peut, constamment devenir idole, c’est-à-dire délivrer un message réducteur et séducteur.
Les réalisations architecturales les plus récentes dans le protestantisme français, témoignent de deux choses :
– Certaines communautés protestantes ont acquis un sens esthétique sûr, moderne, voire même avant-gardiste (cf. les architectures religieuses de Marc Rolinet, faites avec le concours des communautés concernées).
– "L’image", n’est plus simplement une surface plane à deux dimensions (l’a-t-elle jamais été ?), mais un espace complexe, à conquérir et à habiter. Plus rien à voir avec "l’image-idole" dénoncée à la fois par la Bible et par la Réforme.
Jérôme COTTIN