Paris, Seuil, 2003, 156 pages
[1] En particulier : Une révolution symbolique. L’iconoclasme protestant et la reconstruction catholique, Paris, Minuit, 1991
Auteur : Olivier CHRISTIN
La Réforme ne fut pas uniquement iconoclaste, elle fut aussi iconophile, créatrice d’images. On le savait déjà ; on en sait maintenant beaucoup plus grâce à cet ouvrage d’un historien lyonnais, spécialiste du 16 ème siècle allemand, auteur de plusieurs livres sur la Réforme et l’iconoclasme protestant. [1]
L’objet de sa nouvelle étude se concentre sur la production d’images du Décalogue, avant, pendant et après la Réforme. L’auteur part du constat que sur ce thème, le luthéranisme innova. Il proposa pour la première fois en 1527, une nouvelle version peinte des Dix Commandements, qui fut à l’origine d’une longue tradition iconographique. Auteurs de cette nouveauté ? Le peintre Cranach et le théologien Melanchthon. Objet de cette nouveauté ? Le remplacement de scènes moralisantes ou allégoriques, comme c’était le cas au Moyen Age, par des scènes peintes prises exclusivement dans l’Ancien Testament. La rupture fut nette : avant la Réforme, en 1516, le même Cranach avait déjà réalisé une majestueuse peinture des Dix Commandements (aujourd’hui au Musée Luther à Wittenberg), mais encore marquée par la tradition de l’iconographie médiévale. Quelques années plus tard il innove, sous l’influence des théologiens. Une nouvelle tradition de la peinture biblique voit alors le jour, fruit d’une exceptionnelle collaboration entre un peintre de valeur et un théologien réputé. L’auteur met en évidence le paradoxe propre à la position protestante : le souci premier de la Réforme n’était pas l’art, mais la diffusion de la Parole de Dieu ; mais cette diffusion devait se faire par tous les moyens possibles, y compris par l’image, donc aussi par l’art.
Ces représentations bibliques des Dix Commandements se multiplient à l’infini, grâce à l’imprimerie. On les trouve sur de multiples supports, et dans des contextes les plus divers. Avec ces images luthériennes populaires ou savantes, on est bien à l’origine de l’image médiatique, socialement omniprésente.
L’auteur ne s’arrête pas à cette étude iconographique, du plus grand intérêt pour le protestantisme. Il explore aussi les « pratiques de l’image » : qu’est-ce que signifie représenter les Dix commandements en images ? Quelles fonctions sociales, politiques, éducatives, peut-on déceler derrière ces représentations ? La production d’images dans le luthéranisme obéit à une double fonction, classique dans la production de l’art occidental : la pédagogie et la mémorisation des faits. Mais Christin va encore plus loin dans son décryptage des fonctions de l’image. Explorant toujours plus profondément leur sens latent, il en vient à explorer le monde des représentations symboliques que construisent ces images luthériennes. Il propose alors une théorie sociale de l’image, fondée sur les effets concrets de ces représentations ; ce qu’elles induisent, ce qu’elles produisent, ce qu’elles traduisent.
Livre dense, parfois difficile. Il prouve, s’il en était besoin, qu’en Allemagne les images contribuèrent à diffuser les idées de la Réforme. Des images bibliques pour dire la Parole de Dieu, mais qui délivraient aussi un certain nombre d’idéologies implicites (et pas forcément très bibliques) que l’auteur rend explicite.