Gautier Mornas,
prêtre de Périgueux et Sarlat,
en mission d’études à Paris
étudiant ISL/ISTA
cours de Jérôme Cottin
Institut Catholique de Paris
Institut Supérieur de Théologie des Arts
1. Descriptif objectif de cette publicité.
La publicité se compose d’une photographie occupant 90% de l’espace, d’un court texte à forme interrogative et d’un logo-slogan.
1.1. La photographie
La photographie représente le coin d’une pièce dont les murs, le plafond, les moulures et la porte sont peints en blanc, avec quelques reflets grisâtres.
La porte est légèrement entrouverte et l’on ne parvient pas à voir avec quelle pièce elle permet de communiquer. Elle ouvre sur un espace sombre.
Sur le battant de la porte entrebâillée est posée une statue de la Vierge Marie les bras ouverts en signe d’accueil, vêtue de blanc et drapée de bleu. La Vierge repose sur un globe terrestre. La statue menace de tomber dès que quelqu’un aura poussé la porte.
1.2. Les textes
Sous cette photographie, à gauche, se trouve une légende sous forme interrogative : « Peut-on encore rire avec la religion ? » et à droite, toujours sous la photo, le logo de la station de radio « Europe 1 » avec son slogan « Parlons nous ».
2. Quelques éléments d’appréciation subjective.
Les murs de cette pièce sont nus, immaculés pourrait-on dire, et occupent près des 2/3 de l’espace photographique. Ce choix clairement dépouillé du photographe vise sans doute à concentrer l’attention du lecteur sur l’action qui pourrait se dérouler autour de la porte et de la statue.
Par ailleurs, le décor semble plutôt être celui d’une maison de famille plutôt que celui d’un bureau d’entreprise. Son caractère premier semble donc être domestique, intime.
Cette publicité, enfin, fait clairement appel au souvenir d’une blague d’enfants bien connue qui placent un seau d’eau sur la porte entrouverte en souhaitant qu’il arrose ainsi sur le premier qui poussera la porte.
3. Le cadre de la publicité : l’annonceur, l’agence de création, le contexte général.
La publicité a été commandée par la station de radio « Europe 1 » au groupe publicitaire PUBLICIS CONSEIL et a paru dans la presse écrite quotidienne et dans des magazines, de la mi-septembre à la fin octobre 2006.
3.1. L’annonceur : Europe 1
Anciennement « Europe n°1 », la station est une radio privée française généraliste, créée en 1955 et désormais propriété du groupe LAGARDERE ACTIVE.
Station très populaire en France, elle est connue pour l’impertinence de ses choix éditoriaux et pour le franc-parler voire l’insolence de nombreux de ses animateurs, tels COLUCHE dans les années 80 ou Marc-Olivier FOGIEL, Laurent RUQUIER et Jean-Marc MORANDINI de nos jours.
La rentrée 2005-2006 de la station est marquée par plusieurs changements : nouveau logo, nouveau slogan (« Parlons nous »), mais aussi un nouvel habillage sonore avec une légère modification du fameux carillon, emblème d’Europe 1 depuis sa fondation.
3.2. L’agence de création : Publicis Conseil
PUBLICIS CONSEIL appartient au réseau de PUBLICIS GROUPE, présent dans 104 pays et qui est le 4e groupe mondial de communication. Ses domaines d’expertise sont la publicité et la communication événementielle, ainsi que les relations publiques et les relations avec la presse.
La publicité qui nous est présentée est partie intégrante d’une campagne plus vaste, dont la création a été dirigée par Olivier ALTMANN, dont les directeurs artistiques sont Jorge CARRENO et Benoît BLUMBERGER et le photographe Olivier RHEINDORF.
La campagne est en effet plus large que ce que nous pourrions penser, puisqu’elle présente plusieurs affiches dans le même esprit que celle confiée à notre étude.
2 exemples :
La France est-elle allergique aux réformes ? avec une Marianne boutonneuse. |
Que faire pour que les jeunes croient de nouveau à la politique ? avec 4 responsables politiques français grimés en jeunes. |
Cette campagne vise selon l’agence de création à « réinsérer la marque dans un environnement sociétal, (...) (recréant) une connivence et une empathie avec les auditeurs. (...) Avec pour objectif de nourrir la signature « Parlons nous », cette campagne renforce (...) le positionnement d’Europe 1 : une radio généraliste au cœur de la société, qui sert et restitue l’air du temps, sans langue de bois, qui crée le débat, donne les clefs pour comprendre le monde et invite chacun à y prendre part. » (source : site Internet d’Europe 1)
La notice de présentation stipule enfin que les 5 thématiques privilégiées par cette campagne sont :
– la société française,
– la politique,
– la géopolitique,
– le sport
– et l’humour.
Gardons présent à l’esprit que cette campagne s’inscrit dans le mouvement de « modernisation » de la station qui, quelques mois auparavant, avait déjà changé son logo et son slogan.
3.3. Le contexte général
A mon sens, deux éléments sont à prendre en compte dans le contexte général de parution de cette publicité.
3.3.1. Au plan international : l’affaire dite des « caricatures de Mahomet »
Lorsque paraît cette campagne de publicité en septembre-octobre 2006, l’opinion publique mondiale conserve encore le souvenir de l’affaire dite des « caricatures de Mahomet ». Publiées pour la première fois par le « Jyllands Posten », un journal de Copenhague, en septembre 2005, et reprises par plusieurs journaux occidentaux, des œuvres du dessinateur danois Kurt WESTERGAARD, représentant le prophète Mahomet coiffé d’un turban orné d’une bombe, avaient été jugées blasphématoires par une partie de la communauté musulmane, une frange de l’Islam n’autorisant aucune représentation figurée de quelque type que ce soit. Des manifestations et des émeutes s’étaient produites dans plusieurs pays musulmans en 2006, où trois ambassades danoises avaient été prises pour cible. Bien évidemment, ces évènements avaient provoqué un grand émoi en Occident, d’autant plus que l’auteur des dessins avait également subi plusieurs tentatives d’assassinat.
3.3.2. Au plan national : le centenaire de la loi de 1905
Par ailleurs, dans un contexte plus national, la France sortait en 2006 d’une année de commémoration du centenaire de la loi de 1905 séparant les Eglises de l’Etat, commémoration ayant donné lieu à de nombreux débats, parfois vifs, relançant plus ou moins la question de la laïcité et tentant de dessiner les contours d’une « laïcité à la française » ou d’une « laïcité positive » selon les termes du Président de la République, Nicolas SARKOZY.
4. Tentative d’analyse.
C’est clairement dans ce contexte, principalement lié aux caricatures religieuses, que cette publicité s’inscrit.
Elle fonde selon moi son message sur 3 ressorts qui doivent être tenus ensemble et articulés :
– l’image de la Vierge Marie (et ce qu’elle représente) détournée dans un cadre profane à visée humoristique ;
– la légende sous une forme interrogative : « Peut-on encore rire avec la religion ? », avec une insistance sur le « encore » et sur le « avec » ;
– et le nouveau slogan dont s’est doté la station, sous une forme impérative : « Parlons nous ».
4.1. La Vierge Marie
La publicité utilise une image religieuse forte issue du christianisme, et tout particulièrement du catholicisme, avec la personne de la Vierge Marie. Si cette dernière n’est pas une divinité, elle est pour autant un personnage important de la foi catholique qui dit qu’elle est la Mère de Dieu, ayant enfanté Jésus-Christ. Figure éminente de la foi, modèle pour les croyants, la Vierge Marie est très respectée et est invoquée avec ferveur partout dans le monde. S’attache par ailleurs à sa personne une forte dimension affective liée à sa maternité et à sa pureté, par son immaculée conception, considération dogmatique catholique qui tient qu’elle a été préservée du péché dès avant sa conception.
Elle est ici représentée dans une situation totalement a-religieuse, et de surcroit dans une position qui tranche à la fois par son aspect comique et potentiellement dangereux : elle peut en effet tomber et blesser quelqu’un, plus que ne le ferait un seau d’eau, mais elle peut aussi se casser.
Je pense que les auteurs de cette publicité avaient également en tête l’idée que « le ciel peut nous tomber sur la tête » !
4.2. « Peut-on encore rire avec la religion ? »
La légende s’inscrit pleinement dans le contexte décrit précédemment, en faisant même le terreau de la publicité. L’insistance sur le « encore » autorise cette interprétation : après et malgré les évènements liés aux caricatures du prophète musulman, peut-on toujours rire avec le phénomène religieux et son poids socio-éthique ?
De même, la légende précise « avec la religion », déplaçant ainsi la question. Cette dernière n’entend pas traiter de « peut-on rire de la religion » mais « peut-on rire avec elle » ?
4.3. « Parlons nous »
Le slogan de la station de radio arrive donc ultimement comme la réponse à la question : une invitation au dialogue - « Parlons nous » - sous-entendant que c’est le dialogue qui a toujours manqué dans les situations de conflits, notamment religieux.
5. Conclusion.
La visée de l’agence de conception était de « réinsérer la marque dans un environnement sociétal, (...) (en recréant) une connivence et une empathie avec les auditeurs. (...) Avec pour objectif de nourrir la signature « Parlons nous ».
Les autres visuels présentés en page 3 mettent également en scène soit un symbole (Marianne, figure symbolique de la République française) soit des personnalités éminentes de la vie publique française (François BAYROU, Nicolas SARKOZY, Ségolène ROYAL, Jack LANG). En ce sens, « l’environnement sociétal » revendiqué par PUBLICIS CONSEIL est respecté. La connivence et l’empathie avec les auditeurs sont assurées par l’humour.
On ne peut ignorer dans cette conclusion les réactions nombreuses suscitées par cette publicité notamment chez plusieurs groupes catholiques actifs dans la blogosphère. Si je passe sur les allégations de blasphème - infondées en rigueur de termes puisque le blasphème est une parole qui insulte violemment la divinité et que la Vierge Marie n’en est pas une -, je retiens les commentaires soulignant que fondamentalement cette publicité ne s’attaque pas à la foi catholique et que par ailleurs, dans une société que d’aucun s’accorde à reconnaître comme largement déchristianisée, l’utilisation de l’image de la Vierge Marie démontre bien que certaines références chrétiennes sont encore bien présentes dans les esprits.