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Réflexion

Compte rendu scientifique du colloque

Un compte-rendu scientifique plus détaillé est paru dans la revue Lumen Vitae, 2011/2, Bruxelles, sur le thème : Initiation et post-modernité ; les pp. 221-234 : "Art contemporain et expressions spirituelles. Colloque à l’Université de Strasbourg".

1. Le déroulement et la nouveauté du colloque

Le colloque fut un franc succès, tant d’un point de vue de la participation, que de celui des contributions scientifiques et des débats. Les organisateurs espéraient 80 participants ; il est venu jusqu’à 130 personnes, qui ont participé soit à la totalité, soit à une partie du colloque. Le fait que chacune des 5 demi-journées soit consacré à une thématique particulière (1. Approches bibliques. 2. Art contemporain. 3. Psychologie. 4. Psychologie religieuse. 5. Musique et expériences pratiques) a permis à certains de participer à la thématique qui les intéressait le plus.
On a pu noter la grande diversité des participants : environ la moitié venait d’Alsace, et la moitié hors Alsace : Allemagne, Belgique, Italie, et bien sûr la France de l’intérieur. Diversité géographique, mais aussi professionnelle : se sont côtoyés des universitaires (professeurs, étudiants et doctorants) mais aussi des artistes, des acteurs de l’art et de la culture.
La nouveauté de ce colloque était non seulement dans le thème (traiter de l’art contemporain dans le cadre d’une faculté de théologie), mais aussi dans l’extrême pluridisciplinarité des approches. Universitaires et praticiens de l’art étaient mélangés pour réfléchir ensemble, les uns à partir de leur savoir, les autres de leur pratique. Il en est résulté des échanges stimulants.

2. Un colloque bilingue, français et allemand

Un très gros effort a été fait pour que la totalité des débats, et un nombre importants de contributions soient traduits dans les deux langues du colloque, pour un public qui était 2/3 francophone et 1/3 germanophone. Toutes les participants avaient les résumés des interventions dans les deux langues (et même, pour Cottin et Gräb, l’intervention complète dans les deux langues) ; certains intervenants, totalement bilingues, se sont traduits eux-mêmes (Hunziker-Rodewald, Föllmi, Stückelberger). Grâce à l’engagement bénévole d’une dizaine de traducteurs et/ou interprètes, les débats ont eu lieu dans les deux langues : ce que l’on perdait en approfondissement (les questions-réponses prennent le double de temps), on le gagnait en cohésion d’ensemble.
Il est assez « décalé » aujourd’hui d’organiser un colloque européen sans un mot d’anglais. Cette particularité a été relevée par une participante, Mme Marianne Mühlenberg, traductrice trilingue pour les éditions Vandenhoeck & Ruprecht et pour l’université de Göttingen. Je cite volontiers ce qu’elle a écrit au retour du colloque :
Ich fand die Tagung sehr schön und anregend, und im Nachhinein kam mir der Gedanke, Prof. Dr. Cottin sollte von irgendwoher noch einen besonderen Orden bekommen für diese zweisprachige Tagung ohne ein Wort Englisch ! Und das ging, sogar ausgezeichnet ! Hier wird an den Unis so viel in Englisch "erzwungen", wobei weder die Dozenten noch die Studenten die Sprache richtig können - wir kehren zum Turmbau von Babel zurück ! Da war diese Tagung mit dem ernsthaften Bemühen um gegenseitiges Verstehen richtig gut.“

3. Les contributions scientifiques

Deux contributions ont fait défaut (Serge Lesourd et Wolfgang Bittner), à cause de situations imprévues (un deuil ; une maladie), mais ces deux intervenants se sont engagés à rendre une contribution écrite en vue de la publication.
Impossible, dans le cadre de ce rapport, de rendre compte de la richesse des interventions et des débats. On soulignera toutefois les points qui sont ressortis des débats et/ou des présentations. Cette liste de remarques aborde pêle-mêle les différents champs disciplinaires abordés, parfois très éloignés les uns des autres. Elle ne tentera pas de présenter les liens entre ces champs, qui n’ont été qu’esquissés au cours de ces journées, et sur lesquels il faudrait revenir de manière plus approfondie.
  Dans le domaine des sciences bibliques, ce qui ressortit du domaine de « l’image » (ou du visuel) n’est plus tabou ; cette dimension est prise au sérieux, soit en amont du texte (l’imaginaire, à l’origine de la transmission puis de la rédaction d’un texte, d’une métaphore) (contribution de Regine Hunziker-Rodewald) soit en aval (contribution de Christian Grappe) : l’histoire de la réception d’un texte, d’un mot, d’un thème ne peut pas être séparé de l’histoire de la riche production iconographique –elle-même créatrice d’une tradition spécifique (les images produisent à leur tour d’autres images). L’herméneutique biblique, qui s’interroge sur la relation du texte au lecteur/auditeur, s’ouvre aussi à la « visualité », par une nouvelle compréhension du rôle de la métaphore. Les travaux de Paul Ricoeur sont dans ce domaine incontournables (contribution de J. Cottin).
  La notion de « sacré », ou de « spirituel », liée à l’art contemporain est comprise différemment dans un contexte français ou dans un contexte allemand. Tandis pour pour un français « spirituel » s’opposera surtout à « religieux », pour un allemand il s’opposera surtout à « matériel » ou « rationnel ». Le spirituel, dans la création artistique contemporaine française pourra ainsi n’avoir aucun lien avec le religieux, voire être antireligieux (c’est ce qu’a montré Valérie Da Costa), ce qui serait impensable en contexte germanique : derrière le spirituel, se profile inévitablement le religieux, ou du moins « du » religieux.
  Il est nécessaire de développer une méthodologie pour aborder l’art contemporain, qui investit actuellement tout le champ social, y compris le religieux (qui fait lui-même partie du champ social). La contribution du suisse allemand Johannes Stückelberger s’y est employé.
  Dans le domaine de l’esthétique philosophique, la place de la spiritualité ne saurait être sous estimée, parfois alors même qu’elle est soupçonnée d’être le support d’idéologies qui lui sont extérieures. C’est ce qu’a montré Daniel Payot, à partir d’une lecture de textes peu connus d’Adorno sur l’esthétique et la religion.
  En ce qui concerne la psychologie, les approches françaises et allemandes divergent également : la recherche alémanique n’hésite pas à parler de psychologie religieuse (contribution de Michael Utsch, d’Anne Steinmetz), voire chrétienne (Wolfgang Bittner), tandis que la recherche francophone est beaucoup plus neutre (contributions de Liliane Goldsztaub et Serge Lesourd). Tout au plus acceptera-t-elle de prendre en compte les réalités religieuses dans l’investigation du sujet.
  A défaut de pouvoir faire un état des lieux des (relativement nombreuses) créations artistiques en contexte d’Eglise, plusieurs contributions (Wilhelm Gräb, Johannes Stückelberger, Jacques Parmentier, Bruneau Jousselin) ont montré et analysé certaines réalisations, en évoquant les possibles difficultés de réceptions d’œuvres parfois en décalage avec les attentes du public.
  Une large place a été faite à la musique (contributions de Beat Föllmi et Uve Steinmetz), qui partage avec les arts visuels un élan créatif et une soif de spiritualité, tout en précédent les arts « plastiques », du fait de sa non dépendance vis-à-vis de la figuration. Dans la musique, il n’y a pas de tentation mimétique, de risque d’une duplication du réel par la forme qui l’exprime artistiquement.
  Enfin, certaines contributions se sont attachées à des domaines spécifiques d’une création ou expression (artistique) en relation avec du spirituel : l’esthétique du corps priant (contribution de Bettina Schaller), de personnes au terme de leur vie (Raph Kunz), ou de personnes atteintes de maladies psychiques (Anne Steinmeier).

4. Echos et soutiens extérieurs

Participation active de la mairie de Strasbourg :
La mairie de Strasbourg a soutenu activement ce colloque de deux manières : - par la présence active de M. Daniel Payot, Maire-adjoint à la culture, et professeur de philosophie et d’esthétique qui, malgré la lourdeur de ses responsabilités, a tenu à apporter une contribution scientifique au colloque ; - par la réception à la mairie et l’organisation d’un buffet dinatoire ; lors de l’allocution à l’occasion de cette réception, M. le maire-adjoint Payot a souligné l’importance, pour la ville de Strasbourg, du dialogue interreligieux et d’une interprétation spirituelle de la culture contemporaine.
Participation de différents acteurs culturels de la ville et de l’université de Strasbourg :
Il est à noter que le colloque était accompagné d’une exposition à double volet : Himmelwärts / Psaumes en dialogue, Strasbourg 16e siècle, Berlin 21e siècle ». Il ne s’agissait pas d’une animation artistique visant à agrémenter le colloque, mais d’un projet à part entière, qui fut à l’origine du colloque. Une collaboration inédite entre une création strasbourgeoise du 16e siècle et une création contemporaine faite par une artiste berlinoise, Christina Utsch, autour d’un même thème : les Psaumes (ou plus particulièrement deux Psaumes : le Psaume 1 et le Psaume 84). Plusieurs partenaires se sont investis dans l’organisation de cette exposition : en tout premier lieu l’Action culturelle de l’Université de Strasbourg, puis la Boutique culture de la ville de Strasbourg, la médiathèque protestante et bien sûr la faculté de théologie protestante qui, comme pour le colloque, était le maître d’œuvre. Cette exposition, qui fut inaugurée la première journée du colloque, resta sur place dans l’aula de l’Université pendant 5 jours, puis émigra pour trois semaines à la médiathèque protestante.
Dans le cadre du colloque, des visites d’une patrimoine artistique et religieux furent organisées dans le ville : les peintures en grisailles in situ à la « maison du cerf », face à la cathédrale (exposées en fac-similé dans le cadre de l’exposition), et un manuscrit (réformé) illustré d’images polémiques, datant des débuts de la Réforme en Suisse francophone.

5. Projets de publication

Le colloque donnera lieu à deux publications :
  Une publication en allemand, sous la responsabilité éditoriales des prof. Gräb (Berlin) et Cottin (Strasbourg), aux éditions Peter Lang (Francfort). Cet ouvrage rassemblera les contributions allemandes du colloque, + trois contributions françaises soit traduites en allemand, soit réécrites avec une nouvelle thématique. L’ouvrage devrait être publié à l’automne 2011. Il ne sera pas nécessaire de trouver des subventions, le prof. Gräb étant directeur de la collection dans laquelle l’ouvrage paraîtra ; a ce titre, il bénéficie de conditions avantageuses de publication.
  Une publication en français, sous la responsabilité des mêmes professeurs, et de Mme Bettina Schaller, maître de conférences, aux éditions Labor et Fides (Genève). L’ouvrage devrait paraître au cours du premier semestre 2012. Ce volume comprendra les contributions françaises, plus trois contributions allemandes traduites en français. Il sera accompagné d’une iconographie de 18 reproductions. La publication de cet ouvrage nécessite toutefois d’apporter une importante contribution financière, à hauteur de 6000 euros. Le colloque ayant été un succès et ayant rencontré un écho important, nous avons bon espoir de trouver cette somme. La publication chez cet éditeur, reconnu internationalement pour la qualité de ses publications théologiques, sera l’occasion d’une large diffusion de cette réflexion, en francophonie comme à l’international.
 
Strasbourg, le 25 avril 2011
J.C.

Jérôme Cottin