Acceuil
Bibliothèque (1990-2022)

Le Christ au miroir de la photographie contemporaine

Nathalie DIETSCHY

Ce très bel ouvrage d’art est une thèse de doctorat, que l’auteure a soutenue en 2012 à la Faculté des Lettres (section Histoire de l’art) de l’Université de Lausanne.
Bénéficiant de nombreuses subventions, l’ouvrage a pu mettre en page quelques très beaux clichés de photographes renommés des 30 dernières années. Les visuels, autant que le texte, comptent.

L’auteure étudie de manière quasi exhaustive un corpus encore non encore exploré : les références, directes ou indirectes au Christ dans la photographie contemporaine. Elles sont nombreuses, variées, inculturées, transgressives, détournées. Il ne s’agit donc pas d’images confessantes, mais plutôt militantes ou autobiographiques, un certain nombre d’artistes se photographiant "en Christ" (Renée Cox, Greg Semu, Olivier Christinat ou Sükran Moral).
On ne s’étonnera pas que certains clichés puissent choquer, puisque - comme dans les autres moyens d’expression artistique de l’art actuel - la figure du Christ est utilisée pour donner une amplification symbolique à une cause que l’on défend. Parmi lesquelles : le droit des homosexuels et la lutte contre l’homophobie (Adi Nes, Elisabeth Ohson, Pierre et Gilles, Evergon), la femme (Brigitte Niedermeier, Cui Xiuwen) et la femme nue (Renée Cox, Humberto Rivas, Bettina Rheims, Marina Abramovic, Sükran Moral, Wang Qingson, Sam Teylor-Johson) les cultures indigènes piétinées par le colonialisme blanc et chrétien (Greg Semu), les marginaux et handicapés (Joel-Peter Witkin, Rauf Memedof), la polysémie culturelle (Cui Xiuwen, Vivek Vilasini) - y compris l’islam (Sükran Moral, Faisal Abdu’Allah et Kofi AllenVicek Vlasini), les noirs et personnes de couleur (Renée Cox, Vanessa Beecroft, Greg Semu, Rotimi Fani-Kayode)

Un genre très prisé est le Christ inséré dans des photographies kitsch, saint-sulpiciennes, sursaturées de références au second degré (David Lachapelle, Bettina Rheims, Marcos Lopez, Pierre et Gilles). Des photographies qui ont fait l’objet de contestations vigoureuses, voire de destructions sont étudiées (le "Piss Christ" d’Andres Serrano, ou la série Crucifixion d’Elisabeth Ohlson Wallin).
Le mécanisme de la fabrication "d’icônes photographiques" est présenté, avec la "Madonne de Bentalha" (1997) du photographe Zaouar, la "Pietà du Kosovo" (1990) de Georges Mérillon, ou la photographie du "Che mort à Vallagrande" (1967) de Freddy Alborta. (Le fameux cliché d’Alberto Korda repris en sérigraphie n’est en revanche pas étudié, mais il est vrai qu’il n’est pas directement "christique" - il ne l’est que par réappropriation ultérieure).

Un étonnement et une absence : que vient faire l’étude de la Holy Virgin Mary {} (1996) de Chris Ofili dans ce corpus ? Certes, elle fit l’objet d’un scandale, mais il s’agit d’une peinture acrylique avec collages, non d’une photographie. Par ailleurs, concernant l’œuvre photographique de Joel-Peter Witkin, dommage que le catalogue de sa rétrospective à la BnF de Paris de 2012 (Witkin - enfer ou ciel / Heaven or Hell) ne soit ni cité ni étudié : il donne quelques clés pour comprendre les références christiques de ce "Catholique post-moderne" (titre d’un article de ce catalogue).

Ouvrage à lire autant qu’à regarder, et qui fera date.

Jérôme COTTIN