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Réflexion

L’apocalypse dans l’art

I. Relire aujourd’hui l’Apocalypse

L’attente et l’amorce de l’an 2000 ont suscité un regain d’intérêt pour le livre biblique de l’Apocalypse, et cela pas simplement dans les milieux chrétiens. Au moins trois raisons me semblent expliquer et justifier l’intérêt actuel pour le livre des Révélations de Jean à Patmos.

Il y a d’abord le fait que ce livre parle du Christ, et du Christ ressuscité. C’est, et de loin, la raison fondamentale qui fonde l’existence de cet écrit biblique et de nos relectures, présentes et passées, artistiques et exégétiques. Il faut donc le dire en préambule, quitte à décevoir certains, séduits par l’aspect ésotérique de cette littérature irritante et fascinante. L’Apocalypse de Jean n’est pas d’abord un recueil de prédictions, un catalogue de souffrances infligées à l’humanité, le jeu complexe d’une écriture symbolique et codée, il est l’annonce du Christ qui vient à nous dans la puissance et la gloire, comme il est venu autrefois dans la discrétion et la pauvreté. Un Christ souvent désigné par des métaphores, dont la plus connue est celle de l’agneau.

L’image du Christ « cosmique » qui se dégage de ces surprenantes visions, si elle est sensiblement différente de celle des Evangiles, rejoint en revanche une sensibilité bien présente à notre époque qui, en matière de spiritualité, préfère le cosmos à l’histoire, la totalité au fragmentaire, la prédiction au présent, la vision à la parole, l’ordre du symbolique à celui de la raison. Relire l’Apocalypse c’est donc, d’une certaine manière, offrir des ponts pour ce dialogue nécessaire et actuel entre christianisme et spiritualités, tout en tenant ferme sur ce qui fonde notre spécificité chrétienne : la venue du Christ dans l’aujourd’hui de l’histoire.

La seconde raison est évidemment chronologique : l’attente et le déploiement de l’an 2000 s’accompagne d’une redécouverte du livre de l’Apocalypse qui annonce la fin du temps ou la fin d’un temps, selon la lecture que l’on en fait. On a beau savoir que ce chiffre de 2000 n’est qu’une convention très arbitraire et historiquement fausse, on n’échappe pas à la symbolique du chiffre rond. Quoi de plus tentant alors, que de confronter ce chiffre aux multiples chiffres symboliques de l’Apocalypse, des chiffres « parfaits » 7 et 12 (et leurs multiples) au règne des 1000 ans ? De la même manière, on relira les textes du visionnaire de Patmos sur l’imminence de la fin des temps, en les confrontant à ceux - heureux ou tragiques - de notre propre histoire. Ce climat d’inquiétude ou d’interrogation apocalyptiques est l’occasion de faire découvrir que, par delà les visions catastrophiques qu’il nous présente, Jean nous fait en réalité partager une vision d’espérance ; son écrit prophétique nous présente la formidable utopie d’un monde nouveau qui est aussi un nouveau monde.

La troisième raison qui nous pousse à redécouvrir l’Apocalypse concerne la nature même de son langage : un langage visuel autant que verbal. L’image, partout réfrénée ou refoulée dans les autres écrits bibliques, éclate ici avec force et insolence. On se trouve face à un langage mixte, fait exclusivement de mots certes, mais de mots qui ne prennent sens que par rapport à un référent visuel, lequel, si on veut le serrer d’un peu plus près, s’évanouit à nouveau au profit d’un sens parfois clair, mais traduisant d’autres fois une désespérante opacité sémantique. Cette interaction entre le mot et l’image, cette utilisation tour à tour symbolique et réaliste des images peut nous aider dans notre effort d’appréhender la communication médiatique dans laquelle nous baignons. Certes les techniques, le langage, les finalités, les modes de représentation sont différents ; il n’empêche que nous avons avec l’Apocalypse, un modèle de communication qui devrait nous encourager à une double attitude. A la fois critique : dénicher l’idole dans l’image et la technique ; mais aussi créatrice : être à l’affût d’une poétique du langage pouvant mieux dire aujourd’hui et en consonance avec notre culture, Dieu à nos contemporains.

L’Apocalypse du maître de Bamberg

Cette enluminure est d’une des 50 représentations du codex de Bamberg, commandé vers l’an 1000 pour cette ville. On ne connaît ni l’auteur de ces enluminures ni leur lieu de production. Il s’agit sans doute des représentations les plus connues de l’Apocalypse outre Rhin après celles de Dürer. Ces enluminures doivent leur popularité à leur grande « lisibilité », leur nombre, ainsi que leur unité stylistique. Les scènes se profilent sur un fond découpé en deux ou trois zones : de l’or pour le ciel en haut, du gris ou du rose pour l’atmosphère au milieu, du vert clair pour la terre en bas. Les groupes qui se détachent sur ces fonds toujours vides sont, malgré leur calme apparent, remplis d’une tension : tantôt effroi tantôt adoration. Aucune prunelle ne se trouve au milieu de l’orbite, mais les yeux des personnages regardent soit vers le haut, soit vers le bas, soit vers l’extérieur, soit vers l’intérieur. L’élégance est parfois sacrifiée à la force de l’expression : les pieds sont souvent trop larges, les doigts trop longs, les index trop accentués.

L’image ici présentée, la planche 41, montre la chute de Babylone (Apocalypse 18, versets 1 à 20). La scène est ici divisée en deux : en haut, l’ange répète et accentue le geste accusateur du doigt de Dieu (dont l’auteur respecte l’absolue transcendance et invisibilité, dans la ligne d’une lecture juive et chrétienne des Ecritures). En bas, des personnages médusés assistent impuissants à la chute de Babylone, représentée de manière très imagée comme une fusée pointant le nez vers le bas, avant de s’écraser sur le sol.

Il a dit....

«  La Révélation dévoile aux yeux des croyants un univers nouveau, dont ils découvrent dès à présent les merveilles, à commencer par leur propre renouvellement. Ils voient l’éternité, car elle a visité le temps des hommes et le ciel.  »
Pierre PRIGENT

Jérôme COTTIN

Pour poursuivre...
 Pierre PRIGENT, L’Apocalypse de Jean (Commentaire du Nouveau Testament XIV), Genève, Labor et Fides, 1988