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Portraits d'artistes

Françoise BISSARA-FREREAU, sculpteur et peintre.

www.bissara-frereau.fr

témoignage de Françoise Bissara-Fréreau sur art et spiritualité

Porte de l’air.
Bronze, collection particulière.

Extraits de ma communication du 6 novembre 2005 aux membres du séminaire de recherche « Théologie et Ethique des images » animé par M. J. Cottin et Mme G. Hébert (Institut protestant de Théologie en collaboration avec l’Institut des Arts sacrés/Institut catholique de Paris)

Sont mentionnées en italique les œuvres qui ont été présentées et commentées (original ou photo) au cours de l’exposé ainsi que des références.

(Livre « Brèches pour une parole », les « Bannières », déjà un voyage)
Je suis partie de la «  Brèche » : « Brèches pour une parole », un recueil écrit dans les années 80, publié en 1989.
J’appartiens à une génération issue d’un monde dédivinisé où l’au-delà retiré du monde « n’est plus qu’une fable » selon Nietzsche : la mort de Dieu, un monde déserté par le divin, donc la mort de l’art et de l’image.
Les thèmes dans mon travail de peinture et de sculpture sont reliés à ma quête de Dieu, à ma rencontre avec le Christ et à un approfondissement des textes bibliques et sacrés.
(« La genèse », photos)
Surtout, les textes de la Bible. Il permettent de pénétrer dans une conscience commune ; il a été donné aux hommes le pouvoir de nous arracher au concret, à l’expérience vécue, pour la remplacer par un symbole. Ça n’a l’air de rien, mais c’est par là que nous sommes hommes. C’est un don immense et redoutable car c’est la source de tout ce qui sauve mais peut aussi nous perdre : le langage, la science, l’art, l’image.

Combat
Nous sommes dans une société du paraître et c’est un véritable combat pour entrer dans un autre état de conscience, dans un temps spirituel. Pour ma part, j’ai vécu une rupture intérieure si profonde que cela a été un retournement. A la fois il y a une extrême liberté, mais il faut toujours être au commencement dans une tension extrême ;

(« Dante »)
L’œuvre est le passage entre le temps chronologique et le temps spirituel. Je cherche à ce qu’elle contienne une vibration.

Théologie : « Le chemin » et les thèmes principaux dans mon œuvre.

(« Le chemin », photos)
Lorsque je parle de « rupture » c’est avec mes idées, mes rêves, mes pensées. Tout m’est apparu faux - complètement. En même temps, c’est comme si dans une intuition très profonde j’avais eu une « vision » fugitive mais intense de ce qu’est la vérité : un savoir vu en éclair mais non formulé.

(« Le miroir », « Les sillons »)
J’ai entrepris cette marche de l’autre côté du miroir. Devant moi, rien que les traces ; à chaque pas des couleurs puis des formes. J’ai cru que ces « traces » de vie combleraient la brèche, mais l’unité surgit du silence, au-delà de l’ego, au-delà du subjectif, il faut creuser les sillons au plus profond, aller plus encore vers l’inconnu. Plus le chemin se creuse, plus un désir fou me met en mouvement.

(Les labyrinthes, « Portes de la terre »)
Les labyrinthes sont sur ce chemin ; ce sont des croisements, des nœuds, des forces, ils m’obligent au dépouillement : c’est le labyrinthe de la conscience tendue vers l’absolu.
Chaque forme m’ouvre un espace, un sens, mais pose aussi une question : celle de la quête du sens de l’homme dans le monde. Le voyage est celui de l’âme.

(Jung, Les racines de la conscience)
« Si nous voulons comprendre le monde nous devons englober l’âme »
Peu à peu, j’ai délaissé le travail d’écriture pour me plonger, à la façon des primitifs, dans celui de la sculpture et de la peinture. L’œuvre devient dépassement de la parole et bien après parfois le sens apparaît évident. En Egypte, la sculpture était une science. C’est vrai qu’elle impose un certain ordre.

(Photos de plusieurs de mes sculptures)
L’écriture et les rythmes d’ombre et de lumière sur la surface des sculptures, comme sur les peintures, bouleversent la forme mais parfois aussi un chant ténu monte et la forme se construit. Il s’agit d’arriver à une justesse du sensible, à une certaine musicalité en associant formes, couleurs, vides, pleins, volumes, idées, sensations.
C’est un tissage de rapports qui ne cherchent pas à « faire beau » mais à lâcher une certaine force qui jaillisse.

(Photos)
Dans mon travail, l’empreinte est le rapport à Dieu. Dans ces superpositions d’empreintes, s’ouvrent des passages ; les pistes se brouillent parfois. L’empreinte donne le mouvement ; ce sont les vêtements-écritures. L’empreinte me pousse sur les chemins, elle est l’essence derrière l’apparence.

Plotin : « Jusqu’où va le déracinement pour aller vers l’être ? »
(Photos de « Job »)
Job revient régulièrement dans mon travail. Il est celui qui est sorti de la perfection. Il est libre. Or la liberté est imperfection : terrible loi qui soumet Job, car il doit tout laisser, mourir complètement à lui-même pour être. Parfois je brise la forme et la rompt comme une épée : briser ma propre habileté, mon « savoir ». Comme Job qui dans sa quête se libère de toute matière vide en tant que sécheresse. Il surgit sur des cendres encore brûlantes et ne peut que se mettre à l’œuvre jour après jour.
C’est ainsi que j’ai découvert des lois d’équilibre, d’ombre, de lumière, de transparence, des structures intimes qui organisent la vie et la matière et qui permettent d’accueillir et de renvoyer la lumière et son mystère.

(Photos « La brûlure » et « La tempête)
Le visage et les mains surgissent de l’intérieur.
Ils emmènent vers un ailleurs. Ils ne sont pas arrêtés. Le visage est celui que je cherche sans fin derrière tous les visages. Il est transcrit dans le flux et le reflux des sculptures au point le plus concentré. Parfois il respire au dessus du combat.
En fait pour moi l’espace ne peut être conquis esthétiquement. L’espace c’est le sens : une conscience au delà du temps. Or le sens ne vient que de Lui. Le moment juste du chemin me révèle une connaissance qui n’est ni intellectuelle, ni mesurable. C’est un savoir « voilé » qui échappe à mes mots car je ne peux le circonscrire. Le regard de l’autre rentre dans l’élaboration de l’œuvre.

(« L’Equilibriste »)
Seul le mouvement visible fait la forme. Et ce chemin n’est pas séparable du monde-il l’englobe-les autres participent de ce mouvement. Ce mouvement visible n’est pas à vrai dire ma propre histoire. C’est un espace tactile, silencieux, autonome, qui est pour l’autre, offert à sa propre vision, à son propre « toucher des profondeurs ».

Dans Totalité et Infini Levinas écrit : « dans le désert il n’y a pas de concept ; il y a rapport à l’Absolu par le désir de vérité ».

(« La rencontre »)
J’ai soif de la Rencontre. Je crois à l’incarnation du Christ. « Je suis la Porte » dit-il. Suivre le Christ (le verbe incarné) c’est voir le monde revêtu d’une grandeur nouvelle. « Tout a été fait par lui » est-il dit (Jn 1,3) C’est par le Christ que désormais mon chemin vers l’absolu (l’amour) est possible. « Qui m’a vu a vu le Père ». Or l’archétype divin constitue le drame (action) car on est saisi par un mystère et continuellement remis en question.
J’appelle désormais ce chemin « Odysseus », le retour. Retour à l’origine et à la tradition ; celle-ci est racine mais aussi épreuve, combat.

(Photos de « Portes »)

Porte de mémoire et de la vie.
Bronze, 270 x 90
Coll. part. Boehringer.

La Porte dans la profondeur est apparemment sans issue ; c’est sur la porte elle-même que se décrypte le chemin, l’intériorisation de la question et l’intégration déjà de nouvelles structures qui formeront l’ouverture.

(Jung « la vie »)
« Avoir une âme est le risque de la vie » Cette poussée vitale est forte mais c’est aussi - je le répète - une épreuve au centre des forces spirituelles et morales. Ce combat est également celui de la problématique de l’image, de la problématique de la lecture biblique et débouche sur la question : comment incarner cette foi chrétienne dans notre monde contemporain ?

(Problématique de l’image)
Le retour de l’homme contemporain vers le Christ ne peut se vivre sans épreuve.
En tant qu’artiste, il ne s’agit pas pour moi de copier l’unité esprit / corps de la Renaissance, ni l’abstraction des années 50. « Plonger » donne naissance à des formes qui correspondent à une foi vivante et non pas conventionnelle.
Cette image qui n’est pas circonscrite comme l’icône, peut faire peur si elle n’est pas soutenue par une vraie pensée.
Mes sculptures et peintures sont comme un vaste livre déroulé. Il arrive que je n’en découvre le sens qu’après. L’oubli fait partie de la quête car il ne s’agit pas d’un élément qui s’ajoute à un autre et aboutit à la connaissance. Il faut manger, ingérer l’Ecriture pour qu’elle devienne le sang même de l’œuvre.
Il y a une tradition commune à tout le Moyen Age qu’a inaugurée St Paul, selon laquelle « chaque sens de l’Ecriture s’approfondit en se divisant, en se dédoublant : la lettre et l’esprit, la surface et l’intérieur ». C’est le livre roulé écrit au recto et au verso dont l’Apocalypse de Jean déclina la vision. Il y a le recto « attrayant pour les petits » et il y a la profondeur du verso mille fois replié en dedans et scellé de sept sceaux.
C’est cela qui est difficile : être toujours dans un commencement. La religion chrétienne est elle-même le risque absolu puisque c’est Lui qui est la vérité et non une doctrine ou une morale.

(Photos : « Christ sur le chemin » et « Christ en bronze et verre »)
Ma quête est donc de plus en plus liée étroitement au Christ. C’est marcher comme Abraham l’a fait. C’est rompre la « tranquillité », ne pas se copier soi-même (ne pas être besogneux) mais créer le vif afin que l’image soit une image forte, d’éveil. L’image elle-même chute et se relève ; Dieu nous retire de nos paix conquises.
Jn 14/27 : « Je vous enlève la paix, je vous donne Ma paix, non pas comme le Monde la donne...que votre cœur ne se trouble point ».

(Masques)
Croire, c’est entrer dans le mystère du Christ fait homme, c’est entrer dans le processus même de la création qui est de se transformer soi-même, d’arracher ses propres masques.

(Les « Béatitudes », qui sont des prières)

Béatitude
Bronze (pièce unique), 30 cm.
Les Béatitudes de F. Bissara-Fréreau
exposées à l’exposition "Bible à Neuilly", mars 2006

Pétrir et forger la matière jusqu’au centre de son être c’est naître dans un rapport entre la source originelle et Dieu, c’est se purifier.

Ethique : « Ecce Homo » Quête -> Homme -> Monde -> Silence de la création.

Du point de vue de l’Ethique l’image du Christ n’est pas simplement l’image divine, mais l’image de son humanité ressuscitée corps et âme.
Pascal : « le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et non des philosophes » (Je reste attachée à la philosophie en y incluant le mystère, car on comprend l’amour avec le cœur.
Le prophète Isaïe proclame que « la sagesse humaine est folie devant Dieu et la sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes et cela avant tout parce que la source de la vérité révélée est la foi qui ne se situe pas sur le plan de la compréhension rationnelle »

Ecce Homo
technique mixte,
77 x 57 cm, coll. part.

(La foi avant tout)
La foi de l’écriture sacrée exclut la compréhension et les preuves car elle est source de vie chez les prophètes puis les apôtres.
Kierkegaard : « La vérité de la Révélation se trouve être tout autre que la vérité de la raison naturelle ».
Isaïe : « C’est par la foi qu’Abraham partit sans savoir où il allait pour la terre promise ».

La foi certes - l’Ecriture sacrée - la création, mais pourquoi ?
Je m’appuie sur l’Ecriture sacrée car elle est centrée sur la croissance de l’être humain.
L’homme est le thème central de mon travail. L’homme et la vie de l’esprit, la vie de l’âme.

(Morale)
L’Art est un combat pour protéger la vie car « chaque être humain est une source de richesse qui doit être protégée » (Saint Bernard).
L’Art comme passage, je l’ai déjà dit, entre le temps mesurable et le temps infini. Jean-Paul II « Lettre aux artistes » : Celui qui crée - Dieu - donne l’être même. L’œuvre est plus qu’un témoignage elle devrait ouvrir sur le monde de la vie et de la condition humaine.
Enfin, l’amour du Père pour le Christ nous enseigne la vie et l’espérance à travers le Saint Esprit.
Pourtant, au XXème siècle, la structure intelligible de l’expérience humaine a été mise en pièce. L’homme a détruit complètement l’homme (génocides, camps de concentration totalitaires). Les catégories traditionnelles permettant de comprendre le droit et la morale ont explosé. Le monde exige une remise en cause, je sens qu’il y a urgence.
Lorsque l’on demande à Jésus « Quoi faire ? », il répond « Suis moi ». Cela implique de suivre cette voie et non les institutions établies.
Mat. 4,4 : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».
La beauté, qu’est-elle sinon le Christ lui-même ou le suressentiel dont parle Denys l’Aréopagite qui est dans la mesure propre à chacun. « A la façon de la lumière Il fait rayonner sur toutes les choses pour les revêtir d’une source de lumière qui rassemble tout en tout »

(Retour à « L’Equilibriste »)
Mon travail est une prière car la lumière a quelque chose de terrible qui consume tout ce qui n’est pas vrai ou qui est inerte. Il faut être comme l’équilibriste au dessus de l’abîme, de la brèche si elle s’ouvre à nouveau, être juste avec soi-même d’abord.