Matthias krieg, Martin Rüsch, Johannes Stuckelberger, Matthias Zeindler (éds), Das unsichtbare Bild. Die Aesthetik des Bilderverbotes,
Zurich, Theologischer verlag, 2005,
110 pages.
Auteurs : Matthias KRIEG, Martin RÜSCH, Johannes STÜCKELBERGER, Matthias ZEINDLER
Ce catalogue d’exposition rend compte d’une expérience intéressante qui eut lieu dans 4 temples réformés autour de Zürich, en Suisse alémanique. Il s’agissait de confronter l’interdit biblique de la représentation, avec des œuvres d’art contemporaines. Le titre de l’exposition : "L’image invisible, l’esthétique de l’interdit de l’image", rend bien compte à la fois de l’ancrage biblique - et même réformé - de la démarche, et de son but : montrer que l’interdit biblique, s’il barre l’accès à Dieu par la visible, est là pour renforcer la présence invisible de Dieu, y compris dans le visible de "l’image" : "L’absence d’image renforce l’invisibilité de Dieu, et tente, par là, de permettre à l’invisible de devenir visible" (p. 8). Paradoxe donc, pleinement montré et assumé par les organisateurs de ce projet.
Les 4 temples retenus pour accueillir les œuvres des artistes sont la Predigerkirche à Zürich, la Kosterkirche à Kappel am Albis, la cathédrale (réformée) de Schaffhouse et le temple St Arbogast à Oberwinterthur. A chaque lieu, une expression artistique différente, qui reflète la diversité des supports, des moyens et des expressions de l’art actuel : installations (Schaffhouse), photographies (Winterthur), peintures (Kappel), expressions artistiques à partir de la parole écrite (Zürich). On voit que, appliqués à l’art d’aujourd’hui, les mots "image" et "art" se révèlent insuffisants et inadaptés : les expressions plastiques actuelles sont plutôt des travaux sur les formes, des mises en scènes visuelles à partir des possibilités diverses de la matière. Le résultat est parfois surprenant, mais en tout cas il n’a aucune chance d’entrer en conflit avec le processus de mise en image (copie, mimésis), puisqu’il n’y a plus de représentation. Le fait, toutefois, que ces expressions artistiques et plastiques aient lieu dans des temples réformés, d’où toute expression visuelle est bannie, est un premier défi qui, si l’on croit l’un des commentateur, a suscité un certain nombre de réactions. Mais je pense que les réactions ne furent pas que théologiques ; elles furent sans doute aussi esthétiques, vu la modernité des œuvres présentées. Il aurait alors fallu un commentaire sur ce qu’est l’art actuel ; une introduction rapide aux possibilités et enjeux des expressions contemporaines sur l’art (je soupçonne que de nombreux visiteurs ne connaissent rien aux "installations", à "l’art vidéo" et autres expressions plastiques très prisés par les artistes contemporains).
L’exposition est précédée par un judicieux commentaire de J. Stückelberger, historien de l’art à Bâle, très impliqué dans des projets artistiques au service des Eglises réformées alémaniques. Il introduit à la compréhension d’une "esthétique réformée", en prenant quelques judicieux exemples dans l’histoire de l’art (dommage que l’œuvre de Katharina Grosse soit reproduite en noir et blanc, elle échappe ainsi à toute compréhension de la part du lecteur-regardeur). Il repère la présence insistante d’un "invisible" dans le visible des images produites en contexte réformé, mais précise qu’il ne s’agit pas de l’expression d’une mystique du vide, d’une théologie négative : "La Révélation, d’un point de vue réformé, ne s’exprime pas sur le mode de la contestation ("Bestreitung"), mais de l’affirmation ("Bejahung")" (p. 17). Il s’agit d’exprimer une présence, et même une présence "de Dieu" (médiatisée par l’Esprit Saint), d’autant plus signifiée qu’elle est soustraite à notre regard. Alors, la création artistique rejoint parfaitement la pensée théologique et la narration évangélique.
Ce catalogue se termine par des citations de théologiens et spécialistes de l’image (dont une du soussigné), ainsi que des extraits des Réformateurs suisses et français (Calvin, Farel) sur l’image. Concernant Calvin, les auteurs ont judicieusement cité non l’Institution chrétienne, mais le Catéchisme de l’Eglise de Genève (1542), plus ouvert sur la question : le réformateur ne condamne pas toutes les images, mais seulement les images de Dieu et celle qui sont adorées. Cela devrait être rappelé aux protestants réformés qui confondent encore image et idole.
Jérôme Cottin