(l’ouverture philosophique), Paris : l’Harmattan, 1998. 255 pages ISBN 2-7384-6569-2.
Auteur : Itzhak GOLDBERG
Jawlensky (1864-1941) est un peintre expressionniste russe, qui a longtemps vécu en Allemagne, avant d’émiger en Suisse et en France, chassé de l’Allemagne nazie. Il fut ami et collaborateur des fondateurs de l’abstraction, et des peintres qui formèrent le mouvement expressionniste allemand du « cavalier bleu » (blaue Reiter) : Kandinsky, Franz Marc, Paul Klee... Mais à la différence de ces derniers, Jawlensky, que l’on redécouvre actuellement internationalement, ne connut pas de son vivant leur notoriété. Pourquoi ? Pour deux raisons, l’une esthétique, l’autre religieuse. Contrairement à ses amis peintres, il ne s’engagea pas totalement dans la voie de l’abstraction, mais choisit une via media : ni figuration, ni abstraction, mais plutôt un entre-deux où les formes peuvent se lire indifféremment comme figures abstraites ou comme éléments du monde. Ce qui est considéré aujourd’hui comme un signe de dynamisme et de créativité était alors perçu comme une faiblesse esthétique..
A cela s’ajoute une spécificité spirituelle : Jawlensky était profondément religieux. Marqué par ses racines orthodoxes, il se considère comme prophète et donne à sa peinture une dimension messianique. Il ne s’agit pas chez lui d’un vague mysticisme ou d’une spiritualité volontiers théosophique, comme c’est le cas chez chez Franz Marc et Kandinsky. Il s’agit au contraire d’une spiritualité chrétienne, authentiquement biblique, comme en témoignent les titres et les sujets d’un certains nombre de ses séries, qui tournent autour du visage du Christ et/ou du visage de l’homme, ou encore de la présence de la croix que dessine chaque visage humain. La peinture de Jawlensky s’ajoute donc à la tradition de la grande peinture religieuse du XXe siècle (Rouault, Chagall, Manessier) et prouve, s’il en était besoin, que l’art religieux contemporain reste une question d’actualité.
Le livre de G. participe à cette redécouverte actuelle ce Jawlensky (on ne compte plus les grandes expositions et rétrospectives sur le peintre ces dernières années en Europe), mais il aborde sa peinture aussi sous l’angle philosophique, et surtout, religieux : c’est ainsi que l’a., dont la philosophie emprunte au messianisme juif de Scholem, montre que l’icône orthodoxe, la Sainte Face, la croix, le visage, l’Autre, sont des données incontournable pour comprendre la peinture de Jawlensky laquelle cherche à la fois à figurer et à respecter l’invisibilité de Dieu par le moyen des couleurs et des formes.
D’un point de vue esthétique, l’a. confronte Jawlensky à deux de ses contemporains dont il est proche : Kandinsky et Delaunay. Il explore également les différentes voies modernes ouvertes par une réflexion plus philosophique qu’historique ou théologique sur l’icône, dans la ligne des travaux de Marie-José Mondzain qui a d’ailleurs écrit la préface.
Deux critiques : les références philosophiques et esthétiques de l’a. sont foisonnantes, et parfois on s’y perd. N’aurait-il pas mieux valu se concentrer sur quelques auteurs, et s’y tenir ? Par ailleurs, la référence à Lévinas est trop discrète pour un tel sujet qui met en avant des thèmes lévinassiens par excellence : le visage, l’Autre, la transcendance.
Le livre contient en outre deux documents d’importance : des « mémoires » de Jawlensy, dans lesquelles il nous avoue son admiration pour Hodler, peintre protestant suisse ; et une lettre du peintre au moine peintre Willibrord Verkade, membre de « l’école de Beuron », dans laquelle il lui avoue que pour lui « l’art est la nostalgie de Dieu »