(Champs 615), Paris : Flammarion, 1994
Auteur : André GRABAR
Il s’agit d’un reprint, en édition de poche, du fameux ouvrage de l’historien de l’art de l’antiquité tardive et du Moyen Age, qui, l’un des premiers, a attiré l’attention sur la richesse de l’iconographie chrétienne. On a donc ici l’un des ouvrages de base pour tous ceux qui s’intéressent aux origines historiques, culturelles, théologiques, philosophiques de l’iconographie chrétienne ; on regrettra simplement que les exigences du format de poche font que l’abondante iconographie de l’ouvrage soit d’un accès malaisé, parce qu’imprimée en format trop réduit.
L’ouvrage est séparé en deux parties bien distinctes : la première est consacrée à l’antiquité (en fait, l’antiquité tardive), la seconde, au Moyen Age (en fait, le haut Moyen Age). L’auteur s’attache à montrer l’unité entre ces deux périodes qui voient la naissance, puis le développement d’un langage de l’image propre au christianisme, d’une écriture visuelle spécifique, qu’est l’iconographie chrétienne. Les images religieuses produites à cette époque, loin d’être la simple expression d’une dévotion ou d’une idolâtrie religieuses, comme pour le paganisme, loin d’être l’expression d’un plaisir esthétique raffiné, comme pour l’hellenisme, sont d’abord un langage, une quête de sens, un dialogue avec la culture. Dès les origines, le christianisme a eu le souci de ne pas se séparer de la culture, et a donc emprunté ses formes culturelles et artistiques au monde profane : de là est né l’art chrétien, véritable synthèse entre le message chrétien et le monde laïc. Au IVe siècle la société devient chrétienne, et le processus s’inverse : la culture toute entière s’imprègne de christianisme, avec les déviations et les excès que l’on connaît.
Parmi les nombreux constats faits par l’auteur, à partir d’études précises, retenons-en deux :
1. La véritable rupture iconographique n’est pas entre antiquité et Moyen Age, mais entre orient et occident. L’auteur montre que, très tôt, avant même le grand schisme, les deux parties de l’Empire développèrent deux sensibilités différentes à l’image, qui aboutiront à l’image religieuse en occident, à l’icône en orient. Pour l’occident, l’image a une visée essentiellement pédagogique et didactique ; pour l’orient, elle se veut mystique et d’essence divine. On a aujourd’hui trop facilement tendance à confondre cette double approche des images.
2. A partir de l’époque carolingienne, l’iconogaphie chrétienne devint un langage très élaboré, destiné à une élite théologique et intellectuelle. Contrairement à une idée courante, mais partiellement fausse, l’art de cette époque n’était pas la fameuse Biblia pauperum, la Bible des pauvres. Il contenait une grammaire beaucoup trop complexe pour cela : seuls pouvaient le déchiffrer les lettrés et érudits. Grabar n’hésite pas à affimer que le courant principal de l’iconographie au Moyen Art est cette "imagerie pour théologiens" (p. 254). L’art chrétien du Moyen Age n’est aucunement l’expression d’une sous-culture (comme l’ont cru les réformateurs, qui jugeaient en fait l’art du Moyen Age tardif ) mais l’expression d’une quête religieuse authentique et le reflet de stimulants débats théologiques.