(un certain regard), Paris : Mame, 1999. 141 pages dont 43 planches couleurs. ISBN 2-7289-0858-3.
Auteur : Odile DELENDA
L’auteur, qui a déjà écrit un remarquable ouvrage sur la peinture religieuse de Velasquez (Cerf, 1993), nous propose ici non une étude sur l’autre grand peintre de la Réforme catholique espagnole, mais sur quatre de ses tableaux, qui faisaient originellement partie d’un immense retable, pour la chartreuse de Jerez de la Frontera, près de Séville. C’est dire si l’étude proposée est fouillée, et fourmille de renseignements historiques, iconographiques, esthétiques et théologiques, qui permettent d’apprécier la qualité des oeuvres sélectionnées.
C’est en 1635 que les chartreux commandèrent à Zurbaran, peintre attitré des ordres monastiques, la décoration peinte de ce retable baroque de 15 m sur 10 m, conçu comme une facade à trois travées, et qui occupait tout le volume de l’abside. Ce retable aujourd’hui démantelé, combinait peinture, sculpture et colonnes torsadées (dites « salomoniques »), pour former une monumentale façade scénographique destinée à frapper et à émouvoir les fidèles.
Les quatre tableaux étudiés (réalisées en 1638-39), aujourd’hui au musée de Grenoble, constituent un cycle de la naissance du Christ (l’Annonciation, la Nativité, la Circoncision, l’Adoration ), et encadrent une somptueuse peinture centrale, la Bataille de Jerez, qui retrace l’événement qui est à l’origine de la fondation du couvent, à savoir le combat victorieux des chevaliers de Jerez sur les Arabes en 1248, grâce à l’intervention miraculeuse de la Vierge. On reconnaît dans ce tableau central, l’influence de la Reddition de Breda, de Velazquez.
Une particularité intéressante, que nous fait découvrir l’a., est l’existence, derrière le retable, d’un couloir qui conduit à une petite pièce décorée appelée Sagrario, destinée à abriter la réserve eucharistique, objet d’une dévotion particulière. Dans la chartreuse de Jerez, mise à sac et pillée par le peuple en 1810, le Sagrario était lui aussi décoré d’immenses peintures de Zurbaran, représentant quelques figures vénérées par l’ordre, à commencer par son fondateur Saint Bruno, et par l’évèque de Grenoble Saint-Hugues qui l’accueillit ainsi que ses six premiers compagnons. Ces peintures (autrefois cachées des yeux du public) se trouvent aujourd’hui au musée de Cadix.
L’a. montre bien la spiritualité cartusienne à l’origine de ces peintures, et n’hésite pas à mettre en avant le sentiment religieux, d’ordinaire sous évalué dans les analyses d’iconographie chrétienne. Sous sa plume, le retable, disparu, démantelé, reprend vie. Les tableaux dispersés dans des musées occidentaux redeviennent les témoins d’une spiritualité qui n’est sans doute pas la nôtre, mais qui est un moment important de l’histoire du christianisme. A cela s’ajoute la valeur esthétique des peintures de Zurbaran, qui dépasse la spiritualité ascétique et sans doute élitiste qui a été à l’origine de leur exécution.